Jean-Didier Urbain

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Quais de Seine – Paris (France)
Année 1996
© Jean-Didier Urbain
Sociologue, éminent spécialiste de tous les phénomènes touristiques.

À la découverte du mauvais voyageur :


« Qui est le touriste ? Qui est touriste ? Si faire du tourisme est une idée séduisante, être touriste est pour beaucoup une perspective insupportable. Qui d’entre nous d’ailleurs, parlant de l’étranger de passage ou même de son compagnon de voyage, n’a pas un jour employé l’infamante épithète de “touriste” ? Ce mot est devenu un sobriquet. Il blesse. Il porte atteinte à la dignité du voyageur. Et si l’indigène l’emploie fréquemment en ce sens, le touriste aussi, pour parler de ses semblables.
Touriste n’est donc pas un mot sans arrière-pensée. Péjoratif, il dépouille dans l’instant le voyageur de sa qualité principale : voyager. Sur ce point, le préjugé ordinaire est formel : le touriste ne voyage pas. Adepte des “circuits”, il ne fait que circuler. Cela suffit à faire de ce voyageur un mauvais voyageur, un nomade aux pieds plats.
Le nomade n’a jamais été très bien accueilli. Le touriste n’échappe pas à la règle. Le nomadisme vacancier réveille à des degrés divers les mêmes rejets. Le natif se méfie de cet individu désœuvré qui passe sans mobile apparent. De surcroît, la méfiance de l’autochtone s’augmente souvent d’un sentiment d’infériorité. Face au touriste, l’indigène sédentaire par nécessité découvre que les rôles de visiteur et de visité ne sont pas réversibles. Pour eux, pêcheur de l’Algarve ou paysan du Yucatán, le nomadisme de loisir est un luxe inaccessible. Ils ne seront jamais touristes. S’ils partent, ils seront immigrés, promis à une autre sédentarité : celle de l’exil.
Ajoutant encore à l’inconfort de ce voyageur, la sociologie a beaucoup insisté sur les effets négatifs du tourisme dans les régions dites “d’accueil”. De l’hostilité larvée à l’agression ouverte, on a même recensé les paliers du ressentiment indigène. Ainsi s’écrivent d’abord les graffitis “Tourists go home” à Antigua ou “Touristes fora” en Corse, puis viennent les premières bombes lancées contre les équipements touristiques. Quant au sociologue D. Nash, il assimile le tourisme à une forme d’impérialisme. Procédure d’occupation non militaire, le tourisme ne ferait-il que restaurer un découpage du monde en colonies ? Colonies de vacances sans doute, mais colonies quand même… »


Extrait de :

L’Idiot du voyage, Histoires de touristes
(p. 16-17, Payot, 2002)

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