
Effectuant un relevé à la table à cartes, dans le sanctuaire de la Nanda Devi – division de Garhwal (Inde).
Année 1934
© H. W. Tilman
Un voyage ferroviaire mouvementé :
« Lors de l’exploration d’un continent, les chaînes de hautes montagnes constituent généralement les ultimes bastions à résister aux assauts de l’homme, que ces tentatives soient virulentes, à caractère scientifique ou dues à la simple curiosité. Les difficultés de transport sont si grandes, les difficultés physiques si pénibles, la récompense si minime – car les déserts glacés ont peu de valeur sur le plan matériel –, que les hauts lieux de la Terre demeurent éloignés et inaccessibles jusqu’à ce que l’homme, après avoir parcouru toutes les régions fertiles s’étendant à leurs pieds, se retrouve sous l’ombre même de ces montagnes et prenne alors conscience d’un désir irrésistible de les conquérir.
Ce sentiment doit sans doute sa force à l’attraction de l’inconnu, à la beauté naturelle et à la grandeur sublime des montagnes. Mais j’aime à penser que cela va plus loin : que le désir d’explorer jaillit du plaisir lié au caractère purement esthétique de la quête.
Quand l’homme se laisse dominer par ce désir, ni les difficultés du voyage, ni les doutes qui l’assaillent, ni l’absence de gain matériel à la fin de l’aventure ne peuvent l’arrêter. Comme l’a fait remarquer, il y a bien des années, un célèbre explorateur de l’Arctique : “La grande majorité des hommes qui explorent l’Arctique le font parce qu’ils le veulent, mais si une majorité le fait pour la publicité, un ou deux seulement le font à des fins purement scientifiques.”
Ce qui était vrai pour l’Arctique en ces temps reculés, et valable pour les Alpes avant qu’elles ne deviennent le “terrain de jeu de l’Europe”, s’applique également aux montagnes encore méconnues de nos jours. Pour le voyageur frayant son chemin sur les cols de Haute-Savoie pour la première fois et pour ceux qui, comme moi, tombent sous le charme de l’Himalaya, les raisons qui mènent à l’exploration demeurent les mêmes : nous le faisons parce que nous le voulons. »
Nanda Devi, Ultime sanctuaire himalayen
(p. 15-16, Transboréal, « Voyage en poche », 2021)