Poconé – Mato Grosso (Brésil)
Année 1974
© Patrick Manoukian
Trop vite pour Woodstock :
« Cet après-midi-là, j’écoutais Francis, le chef français expatrié, parler de sa jeunesse et de la nôtre. Nous étions en août 1969. Le vieux coq un peu aigri n’y comprenait plus rien, à tous ces beatniks à la Kerouac. C’est en lui expliquant leur philosophie qu’Alain en vint à parler de Woodstock et d’un événement hors du commun à venir.
Le lendemain matin, je rendais mon tablier, bouclais mon sac, et partais pour San Francisco fêter mon vingtième anniversaire à Woodstock. Cinq jours de stop pour une traversée d’un océan à l’autre, à la belle époque du peace and love and not war. De limousine en Coccinelle, de truck en pick-up, dans la belle exaltation de cette période heureuse, je traversai d’un trait tous les États-Unis. Puis, comme je demandais à mon dernier chauffeur comment me rendre au festival, il m’apprit en riant que c’était de l’autre côté, sur la côte Est, à deux pas de New York d’où je venais ! À aucun moment il ne m’était venu à l’esprit qu’un tel rassemblement pouvait se tenir ailleurs que sur la côte Ouest. J’arrivai dans les brumes frisquettes de San Francisco le jour même où débutait, à 4 000 kilomètres de là, le concert historique auquel je n’assisterais pas?
L’histoire fit tant rire mon chauffeur qu’il me prit en sympathie et me conduisit chez lui, en haut de Cole Street, juste au-dessus du carrefour de Haight et Ashbury, La Mecque du mouvement hippie. La colline entière semblait nappée d’un nuage aromatique sans équivoque, et mon hôte lui-même, bien que chirurgien, n’était pas le dernier à faire grésiller sa marie-jeanne. Sa maison tout en bois et en terrasses surplombait la ville illuminée et il m’offrit de dormir sous la véranda. »
Le Temps du voyage, Petite causerie sur la nonchalance et les vertus de l’étape
(p. 11-13, Transboréal, ? Petite philosophie du voyage », 2011, 4e éd. 2019)