À travers la France rurale

Emmanuel Hussenet a voyagé avec un petit cheval dans la France rurale.


7. La mission de l’âne moderne


Il y a, dans les yeux et entre les oreilles de cet animal, une douceur à laquelle le quotidien ne nous avait plus habitués. On dirait l’âne tout droit ressurgi du royaume de l’enfance, avec ses peluches, ses contes et ses animaux qui parlent. Rescapé d’un monde qui croyait ne plus avoir besoin de lui, l’âne s’est trouvé une nouvelle mission : réapprendre aux humains le bonheur d’être et le plaisir de cheminer. Loin de l’âne d’antan à la sottise proverbiale, l’âne moderne s’est hissé au rang de professeur de savoir-vivre, et le voilà qui chaque été guide les pas des randonneurs, amuse les enfants, leur enseigne la philosophie ou la botanique, tout en transportant leurs bagages. Son courage, sa gentillesse et sa drôlerie font aussi de lui un ambassadeur de premier ordre auprès des villageois de rencontre, puisqu’il fait l’unanimité partout où qu’il passe.
Après vingt années d’informatique ou de fonctionnariat, une imagination de plus en plus empreinte de chemins et si possible un prénom qui commence ou finit par Jacques, il est dans la nature des choses de suivre un jour ou l’autre la trace des pèlerins. Pour Jacques Clouteau, par exemple, tout partait de ce désir confus mais impérieux, à la fois évident et insaisissable, qui pousse à prendre la route à pied, pour voir, éprouver, comprendre, puis atteindre ce phare séculaire qui illuminait jadis la limite occidentale du monde connu : Saint-Jacques de Compostelle. Il n’y a pas une seule grande raison pour reprendre le célèbre chemin, mais une multitude de petites dont la somme ne fera pas un événement, mais un enchaînement de séquences qui habillent le quotidien de surprises, de rencontres et de sympathies.
Jacques et son âne Ferdinand atteignirent donc Saint-Jacques et, depuis, ne se quittent plus. Conscient, pour l’avoir vécu, des sacrifices qu’un tel voyage implique, de la difficulté, parfois, de dépendre des autres, Jacques connaît aussi les moments de joie que son passage a provoqués chez les enfants, et le bonheur de sa complicité avec son compagnon pour lequel il ne tarit pas d’éloges. C’est pourquoi il a décidé de repartir. Marcher est une liberté à laquelle celui qui y a réellement goûté renonce difficilement. L’homme Jacques et l’âne Ferdinand ont ensuite retrouvé le chemin suivi au IXe siècle par les reliques de Saint-Philibert, entre l’île de Noirmoutier et Tournus en Bourgogne. Après, ils traversèrent la Grèce et, l’année suivante, partant du Mont-Saint-Michel, rejoignirent Venise. Vinrent alors d’autres périples entre Vendée et Alpes-Maritimes ou à travers le Portugal. Bien des aventures qui font chacune l’objet de récits que l’auteur édite lui-même, et qui sont devenus la référence de tous les voyageurs tentés par une virée asinienne. Le marcheur accompagné de l’âne ne portent-ils pas un rêve enfoui au fond de chacun, que leur passage au hasard d’une route de campagne ravive un instant ?
D’autres, de plus en plus nombreux, suivent la piste que Jacques Clouteau semble avoir rouverte. Jacques Abdelaziz est lui parti avec deux ânesses, Toutoune et Nounou, afin de « troquer toutes ses hésitations et toutes ses interrogations contre la certitude qui pousse l’homme au bout de lui-même ». Il en résultera 114 jours de marche pour rejoindre Saint-Jacques et en revenir. Josiane et Michel Genkedes, retraités, auront quant à eux l’immense bonheur de couvrir 1 000 kilomètres avec leur âne Cadou pour rompre avec des années trop remplies, et découvrir les valeurs qui constituent la véritable vie mais que le temps qui court occulte souvent. Parce que sa seule présence permet aux portes de s’ouvrir et aux langues de se délier, l’âne n’a plus seulement pour besogne de porter les bagages des hommes, mais bien de rétablir un lien entre eux.


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