À travers la France rurale



Emmanuel Hussenet a voyagé avec un petit cheval dans la France rurale.


1. Le temps déroutant


Aucun jour de voyage n’est monotone. Tous sont marqués soit par la joie d’avoir fait une vraie rencontre, c’est-à-dire d’avoir, un instant, tissé un lien privilégié avec quelqu’un, soit par l’ennui, voire l’aigreur vis-à-vis de ces longues journées, balisées par des propriétés desquelles n’apparaît aucune silhouette amicale, excepté parfois celles des enfants. André Breton disait : « J’écris pour rencontrer » ; je dirais plutôt : « Je voyage pour rencontrer ». En fait, je fais les deux, mais suis de moins en moins convaincu par l’efficacité de l’une ou l’autre de ces méthodes. Je m’attendais, de-ci de-là, à traverser des villages accueillants. Je fus ainsi surpris par le charme et la gaîté de l’habitat des rives de la Cure. Ses attraits, propres à flatter l’œil du touriste, doivent peu aux ruraux en perpétuelle perte d’effectif. La plupart des maisons appartiennent à des retraités, aux Parisiens, aux Anglais. Derrière la coquetterie des lieux se cache dans ce type de village une sorte d’invincible torpeur tout juste dérangée par les querelles de clocher. Comme le mannequin qui pallierait son manque de vie intérieure par une toilette et un maquillage irréprochables.
Alors que l’argent est drainé par les vallées aussi sûrement que les précipitations, les plateaux restent ancrés dans une ruralité trop proche de ses caricatures. Souvent, quand je passe par l’un de ces hameaux où l’odeur du vide se mêle encore à celle du fumier, j’ai l’impression de surprendre l’unique habitant que j’y aperçois. Pas parce que la surprise s’affiche sur son visage, non, mais parce qu’il se sent, lui, regardé alors qu’il ne s’attendait plus à l’être. Comme si le remarquer dans sa cour ou son jardin, c’était l’observer à travers les fenêtres de sa maison. Aucune rencontre, bien sûr, dans ces cas-là. Pas davantage lors de mes trois derniers jours de traversée du Morvan, sorte de grand désert où les silhouettes humaines se confondent avec l’entrebâillement des portes ou la carrosserie des véhicules. L’unique automobiliste à avoir ralenti pour me saluer et me sourire était immatriculé dans la Seine-et-Marne.
Avant de partir, j’avais appris des contes pour enfant, révisé des tirades et des poèmes de Shakespeare, de Rimbaud et de Hugo que je connais de longue date. Je me disais naïvement que cela pourrait servir lors de veillées au coin du feu… En vérité, je passe mes soirées sous la tente, partageant le pré avec mon cheval, ou bien dans un gîte rural à compter les kilomètres parcourus. Oui, j’ai fait quelques belles rencontres, Dieu merci, mais fort peu. Je suis surtout frappé par l’incuriosité des gens et la quasi-incapacité à accueillir. J’ai l’impression de devoir m’excuser à chaque tentative de communication.
Comment aborder ces lieux, ces gens devant lesquels je ne fais que passer ? Comment savoir qui rencontrer pour que les portes s’ouvrent et entrer réellement en contact avec la vie locale ? Est-ce moi qui passe à côté de cette vie ou est-ce la vie qui est absente ? J’en viens à oublier la présence incongrue d’Haïschka à mon côté, et me déplace avec lui, même en milieu urbain, persuadé de passer inaperçu. Je suis le plus étonné lorsque, arpentant un site touristique, je sens tous les regards converger sur nous. Sans doute nous prend-on pour une attraction locale.
Même si j’en viens à douter que mes rêves puissent aussi correspondre à ceux des autres, si la conformité, plutôt que de me hérisser, me rassure car elle me paraît petit à petit comme la seule issue possible, je poursuivrai ce voyage jusqu’à l’automne sans rien y changer. Cette façon de vivre me plaît, et je suis loin de renoncer à percer quelques-uns des mystères qui font de la campagne ce milieu de méandres et de contrastes, instillant chez le voyageur une palette d’états d’âme qui vont de la simple lassitude aux bonheurs les plus inattendus.


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