François Aubineau et Florent Mercier ont découvert l’Europe de l’Ouest à pied.
4. Suisse
Le 9 septembre, nous franchissons le col du Grand-Ferret : ce sont nos premiers pas en terre étrangère… La France est derrière nous ! La neige crisse sous nos pas. À sa froide uniformité s’oppose le bleu intense du ciel. Nous montons au col du Bastillon. Ce sera certainement le plus haut de notre périple. Il semble si haut que nous croyons atteindre le bleu du ciel. En vain… Nous ne brassons que la transparence de l’air.
Arrivés à la vallée du Grand-Saint-Bernard, nous retrouvons Mathieu, un ami d’Angers. Il tient l’alpage de juin à septembre. Dans sa caravane cernée par la neige, il nous héberge trois jours durant. Nous profitons de ce nid, confortable et chaud, pour écouter des histoires de bergers, avec comme décor les paysages de la vallée.
La vallée de la Drance nous permet de fuir les frimas d’altitude pour marcher sur un sol plus clément. C’est compter sans les caprices de la nature. En effet, une passerelle a été emportée par une crue l’an passé et nous voici amenés à traverser une eau glaciale, à contre-courant, en sandales. Rude étape. Notre marche nous mène à Martigny.
Martigny laisse place à la vallée du Rhône : Sion, Sierre, le Nufenenpass. Nous constatons que plus la langue se germanise, plus la vallée est encaissée. Et comme si la géographie collait à l’idiome, l’entrée dans le Tessin se fait par une descente rapide, légère comme l’italien que l’on parle ici. L’accueil des Tessinois est d’ailleurs des plus chaleureux.
Après une brève incursion en Italie, nous traversons bientôt le troisième et dernier canton suisse : les Grisons. Mais la route est longue avant d’y parvenir.
Nous traversons d’abord le Val Cama, un espace sauvage parsemé de cabanes de berger. Nous profitons de l’un de ces abris pour nous réchauffer près d’un feu de bois avant de nous rassasier d’un copieux repas. Il nous reste encore 700 mètres pour atteindre le col, soit deux bonnes heures de marche en perspective. Mais, la réalité est tout autre… Ce ne seront pas deux mais cinq heures de marche nécessaire pour atteindre ce col. Cinq heures de pierres instables. Cinq heures de redoutables dénivelés couverts d’une herbe fort malvenue. Une mince pluie fine et glaciale tombe continûment. Les mains gelées par le froid, nous nous aidons de racines, voire de chaînes, pour affronter les parois rocheuses. « Surtout ne pas glisser. Éviter tel éboulis ! »
Une heure avant la nuit, nous atteignons enfin le col ! Au soulagement succède le dépit. Pas un endroit plat ! Rien. Seulement la fatigue et un sentier incertain. Mais, 200 mètres plus bas, nous découvrons un abri à moutons qui nous sert de refuge pour la nuit. Là , nous entendons la pluie tomber de plus en plus drue.
Pour atteindre les Grisons, nous suivons l’Inn – qui nous guidera jusqu’en Autriche – depuis Maloja, où il prend sa source. Après l’accueil chaleureux des Tessinois, l’attitude des Grisonnais nous étonne. Visiblement habitués à recevoir des touristes aisés, les habitants nous observent d’un œil méfiant. Apparemment, les marcheurs sont des visiteurs inhabituels.
Le 6 octobre, une panne de gaz survient. Comme nous n’avons plus de quoi cuire notre riz, nous partons à la recherche d’une âme secourable. Nous atteignons un hameau quasi désert où seule une maison semble habitée. Nous sonnons. Une vieille dame nous demande d’attendre. Nous attendons, patientons, resonnons. De nouveau, la femme nous prie d’attendre : « Ein Moment, bitte ! » Notre attente se prolonge. Il fait de plus en plus noir. Soudain, une voiture arrive ; deux hommes en sortent et nous interpellent : « Polizei ! » À l’étage, derrière sa fenêtre, la vielle dame observe la scène. Après avoir contrôlé notre identité, les deux policiers nous conseillent une autre destination : « Allez au prochain village, dans cette direction, à deux kilomètres environ. » Bizarre, d’après la carte, il y en a six. Nous nous mettons en route. Les kilomètres défilent ainsi jusqu’à la frontière !