Le tour de l’Europe de l’Ouest à pied

           


François Aubineau et Florent Mercier ont découvert l’Europe de l’Ouest à pied.


16. Norvège


Mardi 30 juillet – Malset
Après une longue montée, je m’étends sur l’herbe. Mon cœur se calme, je m’endormirai presque tellement il fait chaud. Déjà des plaques de neige attirent l’œil sur la roche brunâtre qui s’élève à nos côtés bien que nous ne soyons qu’à 1 000 m d’altitude. Peu avant le col, le sentier s’efface : nous hésitons entre deux directions : toutes deux semblent passer de l’autre côté. Nous en suivons chacun une en espérant nous retrouver facilement derrière. Cette dernière montée sous le soleil est éprouvante, il me faut m’arrêter souvent pour reprendre mon souffle. Le passage du col ouvre une porte, celle des montagnes de roches recouvertes de taches blanches, là, partout devant nous, peut-être le Walhalla. Cela ressemble à une mer d’orques couchées et entassées les unes sur les autres. Il y a un lac entouré de mousses vertes, jaunes et oranges, je vois Florent, je l’appelle, nous échangeons quelques mots-clefs afin de nous retrouver à l’extrémité du lac.

Mercredi 31 juillet – Vikset.
Deux pêcheurs boivent une bière à l’ombre d’un chalet, les jambes vert caoutchouc, ils me font penser à des grenouilles. Le sentier s’arrête ici, juste devant leur chalet, alors que nous pensions franchir un col en le suivant. Dans un anglais approximatif, l’un d’eux explique l’itinéraire pour rejoindre un sentier balisé de cairns. Mais il y a d’abord une rivière à traverser, rapide car la source n’est pas loin et la pente est forte. L’endroit où elle se divise en plusieurs lits semble être le plus adapté pour un passage à gué. Grâce aux pierres émergées et à quelques branches, nous nous engageons avec succès au-dessus du cours d’eau. Soudain je glisse, perds l’équilibre et m’affaisse, disparaissant dans l’onde jusqu’au coude. Il me faut contrer l’élan de la chute de toutes mes forces pour résister au poids du sac à dos qui tend à me faire basculer en avant. Mes chaussures n’ayant pas résisté à cette immersion, je traverse le reste de la rivière par le chemin le plus direct. Il fait chaud, le soleil brille au-dessus de nos têtes, je n’hésite pas à ôter mes vêtements trempés et les étale pour les faire sécher. Maintenant, pourquoi ne pas se baigner ? La rivière, un peu plus bas, forme un petit lac où l’eau a eu le temps de chauffer, nous en profitons pour faire un brin de toilette, savon glissant en main. Et puis je plonge dans l’eau claire et pure. Quel bonheur de nager en pleine nature avec pour décor les sommets enneigés, l’herbe et les mousses autour de soi. Retour aux sources dans un des plus beaux cadres que je connaisse, plaisir gratuit, plaisir de voyageur.
Arrivés au col, nous nous retournons une dernière fois avant de quitter ce lieu riche en couleurs : le blanc des névés, le gris de la roche, le jaune, le vert et le rouge des mousses autour de minuscules lacs qui sont autant de miroirs et offrent un bleu contrasté avec la terre. Devant nous, un vallon encaissé avec des taches sombres çà et là, qui doivent être des chalets. Nous nous élançons d’un bond comme si la force de la nature nous habitait, en ce lieu où elle semble omniprésente. Nous stoppons aussi rapidement que nous sommes partis ; à une vingtaine de mètres, une troupe de rennes se lève d’un seul mouvement. Ils étaient couchés sur une grande plaque de neige à fuir la chaleur. Bouger le bras pour attraper l’appareil photo est le geste de trop, qui leur donne le signal du départ. Je cours dans la même direction en vue de les surplomber, j’ai compris qu’ils devraient passer devant moi afin de rejoindre un endroit inaccessible pour nous. C’est ce qui se passe : c’est alors plus de quarante rennes que j’ai face à moi. Un doute m’assaille. Et s’ils décidaient de charger ? Non, c’est stupide. Ce qui me rassure me chagrine aussi pendant que je les photographie, car alors qu’ils m’observent, immobiles, les yeux rivés sur moi, je pense qu’ils tombent parfois nez à nez avec un homme qui les vise, mais pas dans le but de ramener une photo. Eux, animaux pacifiques de nature, ne font jamais la différence. Ils sont magnifiques et portent des bois énormes, ce qui n’a pas l’air de les gêner dans la montée de cette pente si raide qui les mène sur la crête, là-haut, où ils se savent en sécurité et maîtres de la vallée.

Samedi 3 août – Hallingskeid
Aujourd’hui, le sentier balisé de cairns nous emmène plus haut que d’habitude. L’enneigement est important sur des passages de plusieurs dizaines de mètres. Perdu dans ces hauteurs silencieuses et majestueuses, j’ai la soudaine envie de posséder une maison dans un univers semblable. J’essaye de trouver des solutions, des parades pour contrer l’hiver avec son froid et ses tonnes de neige. C’est utopique mais je veux y croire tant c’est beau. Nous prenons un col qui permet de passer dans la vallée de Myrdal d’où nous rejoindrons la « voie des cheminots ». Ce col, lui aussi, offre sa dose de merveilleux avec deux couples de lagopèdes alpins mis en valeur par le blanc étincelant de la neige. La descente que nous entamons se révèle être une des plus belles, des plus spectaculaires et des plus excitantes de notre parcours norvégien. Malgré le terrain très pentu, nous marchons, nous courons comme des enfants sur ce tapis blanc. D’ailleurs, nos sacs à dos protégés de leurs sursacs font de bonnes luges improvisées ! Après la séquence ludique, nous attaquons la partie sportive de la journée de marche. Sautant de rochers en névés, nous nous enfonçons jusqu’aux genoux ; plus loin, bondissant au-dessus d’un impétueux torrent, nous apprécions le travail de l’eau qui a creusé la roche sur trois mètres de profondeur et un mètre de largeur, puis continue sa route sous un pont de neige pour surgir ensuite sur l’herbe verte. À Myrdal, station ferroviaire perdue dans la montagne, les cyclistes descendent du train pour commencer la piste longue de 90 kilomètres, la « voie des cheminots » parce qu’elle a servi d’abord à la construction de la voie ferrée. Aujourd’hui, sa réputation touristique n’est plus à faire et beaucoup l’utilisent pour rallier Oslo à Trondheim. Malgré tout, nous nous y élançons à pied.
Au détour du sentier, une immense chute d’eau qui part du sommet d’une falaise attire le regard, la voie ferrée a été construite sur la paroi de la montagne d’en face. Florent dit avoir lu que cette ligne de chemin de fer fait partie des dix plus belles au monde. Je le crois volontiers. Rapidement, après avoir gagné quelques centaines de mètres d’altitude, le terrain s’aplatit, les sommets sont à bout de bras. Des lacs, il y en a tout le long de la piste, ils abreuvent ces montagnes aux neiges éternelles. En fin de journée, la tente est plantée au bord de l’un d’eux. C’est calme, il n’y a plus personne sur la piste, le silence et un décor magnifique nous bercent. Ah ! si nous avions une canne à pêche, nous pourrions varier nos repas. Les poissons ne doivent pas manquer dans ce vaste plan d’eau. Mais nous devrons nous satisfaire du riz, que nous mangeons depuis une semaine.

Dimanche 4 août 2002 – Finse
Nous marchons toujours à hauteur des sommets enneigés et en bordure des lacs. De la piste, nous voyons le glacier Hardanger Jokilen dominer la région, à 1 862 m. Partout, les couleurs sont belles et apaisantes ; blanc, bleu, jaune et marron. Il y a aussi tous ces cheveux blonds sur lesquels brille le soleil. Il tape fort aujourd’hui, il donne des coups, littéralement. Malgré la crème, les bras sont écarlates. Mais il paraît que nous sommes chanceux, il n’a jamais fait aussi beau. Tous les Norvégiens nous le diront, c’est l’été le plus beau depuis un siècle, le plus beau que la météo n’ait jamais eu à annoncer depuis qu’elle existe ! Il y a un côté magique à arpenter des montagnes enneigées et à transpirer comme lors de notre traversée des parties les plus arides de l’Andalousie.

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