François Aubineau et Florent Mercier ont découvert l’Europe de l’Ouest à pied.
8. Valencia et Murcia
Vingt-neuf décembre, gare de Valencia. Tout comme le lever de soleil sur la Méditerranée et les rues colorées de Valencia, l’arrivée de deux amis angevins nous réchauffe le cœur. Nous avons eu raison de choisir un itinéraire adapté à la saison. La plage sera notre sentier et notre sommier pour quelques jours. Les magnifiques couchers de soleil et le fond sonore maritime nous apaisent. Seules des tours immenses, visibles à plusieurs kilomètres, défigurent un paysage où la végétation sèche et rase est courbée par le vent continu. L’arrivée de la pluie nous oblige à chercher un abri dans les terres. Plutôt que vers le curé, on nous oriente vers le policier local qui souvent nous écoute et nous aide.
Boules orange vif dans un feuillage vert foncé, succédanés d’un soleil qui fait défaut, nous savourons la douceur des oranges, fruits au goût délavé comme la terre souvent nue au pied des orangers. Différentes variétés permettent d’étaler les récoltes de septembre à février. La maturité apparente des fruits n’est pas toujours réelle… Bulgares ? Lituaniens ? On nous prend pour ces émigrés venus récolter les oranges, des travailleurs indispensables à l’économie du pays mais victimes d’une xénophobie avérée et avouée. La dictature franquiste a fermé les esprits. La peur de l’étranger s’explique par une vision du monde restreinte au village et aux images de la télévision qui, quatre mois après, repasse pour la millième fois un avion qui s’écrase contre une tour. Nous avons essayé, nous capitulons : l’accueil chez l’habitant est impossible. Alors, notre seule chance s’appelle monsieur le maire qui, souvent, nous offre une pièce chaude et propre – l’école, la bibliothèque, la salle de sport – quelquefois l’hôtel et, rarement, nous invite chez lui. Les Espagnols sont longs à apprivoiser mais, une fois l’étape franchie, nous avons droit à tous les honneurs, comme cette fantastique paella cuisinée par la femme du maire d’un petit village qui n’a pas voulu nous laisser repartir sous la pluie.
Avec le soleil qui revient, c’est le paysage qui évolue. L’olivier remplace l’oranger. Le cactus et une végétation sèche font leur apparition. De petites montagnes arides se dessinent à l’horizon. À Alcoy, nous rejoignons le GR7 qui vient d’Andorre et qui mène à Tarifa. C’est un pur bonheur de quitter le bitume et d’utiliser les crampons de nos chaussures sur des sentiers où le gel nocturne persiste à l’ombre des chênes verts…
Les marques rouges et blanches à la qualité aléatoire disparaissent à l’entrée des villages. Il nous faut alors questionner, chercher et deviner après une visite imprévue du pueblo. À notre grande surprise, le club d’excursion d’Elda nous accueille en héros (il faut dire que dans cette ville de 60 000 habitants, une personne sur dix pratique la randonnée). Restaurant et hôtel de luxe nous sont offerts. François, tombé malade après un manque de sommeil et de longues journées de marche à forte amplitude thermique, n’en appréciera pas le plaisir.
Entre les oliviers et les pêchers, dans la région la plus sèche d’Espagne, voici Pinoso, un petit village qui extrait sa richesse des carrières de marbre. « Tele Pinos », la télévision locale municipale, nous y attend pour un reportage en catalan – langue régionale – et en castillan – « l’espagnol » – avec une interview en anglais. Une expérience ludique…
Deux rencontres fortes et inattendues jalonnent notre traversée du nord de la région de Murcia.
Michael et Maria, jeune couple bavarois, vivent leur idéal anthroposophe dans un univers de toute beauté. À deux pas du GR, ils cultivent quelques ares de jardin, élèvent dix poules et deux chèvres, lisent et relisent les écrits de R. Steiner et de ses adeptes…, en attendant de trouver un lieu plus propice à une véritable agriculture rémunératrice… Vivant dans une quasi-autarcie énergique et alimentaire (mais pas humaine), ils nous accueillent merveilleusement. Samuel, leur fils de 6 ans, met à profit son bilinguisme pour expliquer, en espagnol pour François, en allemand pour moi, sa conception de la vie, déjà hautement philosophique, mais aussi sa recette de soupe lactée sucrée chocolatée aux poires, amandes et figues séchées.
Le sac plein d’amandes – comme tous les autres fruits secs, peut-être le plus utile des cadeaux faits au randonneur –, nous repartons à travers la montagne. Sur un plateau aride, surveillés par de vieux bergers, quelques moutons rasent une herbe déjà rase.
Un camion noir s’arrête à notre hauteur :
« Vous dormez où ce soir ?
— Aucune idée !
— Chez moi. Je m’appelle César. J’habite au bord du GR, quatre kilomètres après le prochain village. À tout à l’heure… »
Grand, fort, les cheveux foncés fortement bouclés, cet homme aux grands yeux brillants impressionne : il n’est vêtu que d’un T-shirt alors que nous supportons deux chandails. La raison de son accueil spontané est simple : c’est un voyageur. Dans sa maison perdue dans la montagne, qu’il a entièrement reconstruite, il nous passe les diapositives de son voyage à vélo au Maroc. La splendeur des images maintient difficilement ouvertes nos paupières fatiguées. Aujourd’hui, il voyage, allant de maison en maison, pour les rénover, presque les construire et les décorer en utilisant le bois brut dans un style qui lui est propre.
L’Andalousie est là -bas : la chaleur, la musique, les taureaux noirs. Un autre pays nous a-t-on répété. Déjà un mois que nous arpentons les terres espagnoles, plus étendues que prévu.