La Tortue – Grandes Antilles



De mémoire de pirate
Une barque vient s’échouer doucement sur le rivage de l’île de la Tortue, des pirates aux sourires carnassiers portent en chantant le coffre du trésor à partager jusqu’au sable blanc de la plage… Nul lieu n’a abrité autant de légendes de pirates ivres d’or et de liberté que cette île des Caraïbes, située à une dizaine de kilomètres de la côte nord d’Haïti.
Depuis Saint-Louis du Nord, sur la Grande-Terre, on aperçoit la silhouette de l’île de la Tortue qui s’étend d’est en ouest sur 37 km. Chaque jour, des bateaux taxis aux voiles multicolores mettent le cap vers elle. Ils embarquent des passagers chargés de sacs de nourriture, de cabris et de poules. Poussés par l’alizé, ces petits voiliers traversent le canal de la Tortue et rejoignent en quelques heures l’étroite passe qui mène au lagon de Basse-Terre.
Au XVIIe siècle, c’est dans ce port naturel que des bateaux pirates venaient relâcher. L’île est alors située sur la route des riches navires qui croisent entre les trois plus importantes colonies espagnoles : Porto Rico, Saint-Domingue et Cuba. La Tortue échappe au contrôle des Espagnols et c’est là que certains aventuriers des Caraïbes choisissent d’établir leur repaire. Les « Frères de la côte », comme ils se nomment, se regroupent autour d’un objectif commun : faire fortune, piller les bateaux et les cités espagnoles. Ils ne reconnaissent aucune autorité nationale ni locale, et sont unis par un code de conduite égalitaire qui passe par l’élection démocratique de leur capitaine et par un système d’indemnisation des blessés.
Malgré de nombreuses tentatives des Espagnols pour reprendre le contrôle de l’île, les activités des Frères de la côte ne cessent de prendre de l’ampleur. Sous la houlette de gouverneurs anglais puis français à la réputation souvent sulfureuse, la Tortue devient, au milieu du XVIIe siècle, le grand centre flibustier de la Caraïbe. Les pirates et les corsaires y font escale, écoulent le fruit de leurs rapines et se ravitaillent, pendant que les boucaniers approvisionnent l’île en viande et font commerce de peaux.
L’action des flibustiers et des corsaires affaiblit les Espagnols et favorise la montée en puissance des Français. Depuis l’île de la Tortue, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, les Français occupent le tiers occidental de l’île d’Hispaniola. Ce territoire prend le nom de Saint-Domingue ; ce sera la colonie esclavagiste la plus lucrative des Antilles au XVIIIe siècle. La Tortue perd son intérêt stratégique, mais conserve son rôle de refuge, notamment pour les esclaves marrons victimes de colons particulièrement sauvages. À partir de 1791, ce sont les planteurs blancs qui se réfugient à la Tortue : ils sont chassés de la Grande-Terre par la révolte des esclaves qui aboutit en 1804 à la naissance d’Haïti, la première république noire au monde.
Aujourd’hui, sur la belle plage de Basse-Terre, les enfants jouent autour de quelques canons qui émergent çà et là, seuls témoins de la présence des Frères de la côte, dont les histoires sont devenues mythiques. Ici, les touristes sont rares, et les tentatives pour les attirer ont souvent tourné court en raison du contexte politique et économique difficile en Haïti. L’île compte près de 30 000 habitants et, comme dans l’ensemble du pays, les conditions de vie sur la Tortue sont d’une extrême précarité. La venue de touristes pourrait bien être une perspective de développement, car l’île avec ses longues plages possède tout pour séduire le visiteur.
Les Tortugais vivent d’un peu de pêche et d’agriculture vivrière. Certains travaillent sur le littoral à la construction des bateaux de cabotage en bois. Grâce à cette activité, les forêts possèdent encore de magnifiques arbres aux essences variées, qui ont échappé à la déforestation sauvage. L’épaisse végétation qui couvre le plateau cache l’entrée de grandes grottes calcaires où vivaient les Indiens taïnos, les premiers habitants de l’île.
Le chemin de terre qui grimpe depuis la plage vers le village des Hauts-Palmistes est peuplé de rencontres souriantes. L’île est vivante, calme, et ses habitants sont accueillants. Une fois arrivé sur le plateau, on aperçoit au travers des arbres les montagnes bleutées de la Grande-Terre, de l’autre côté du canal. Loin du tumulte et de l’agitation des villes haïtiennes, on regarde autrement le pays : la Tortue est une douce et séduisante introduction à la beauté tourbillonnante d’Haïti.

Suggestions de visite :
• Les chantiers de la côte sud : les bateaux mis en chantier à la Tortue sont proches des embarcations utilisées par les flibustiers. Il semble que, malgré les nombreux heurts de l’histoire haïtienne, le savoir-faire en construction navale se soit toujours transmis depuis le XVIIe siècle.
• Les ruines du fort de la Roche : ce fort fut construit sur les hauteurs de Basse-Terre par l’un des plus fameux gouverneurs français de la Tortue, Le Vasseur. Entre 1640 et 1652, il transforme l’île en « République flibustière huguenote », où les protestants, qui fuient alors l’Europe, s’installent et où les catholiques sont persécutés.
• Les grottes du plateau : l’île de la Tortue passe pour être un haut lieu de la culture taïnos, qui se nommait cahini ou guahini, ce qui pourrait signifier « pendentif ». Après la découverte de l’île par Christophe Colomb en 1492 et l’extermination des Indiens qui accompagna la conquête du Nouveau Monde, une partie de ces derniers semble s’être réfugiée sur l’île de la Tortue. Sur le plateau et près du rivage, de nombreuses grottes portent des inscriptions qui témoignent de la présence des Taïnos. À l’entrée de l’une d’elles, on trouverait une grande sculpture représentant une femme avec une longue chevelure…

Par Simon Nancy
En savoir davantage sur : Simon Nancy
© Transboréal : tous droits réservés, 2006-2024. Mentions légales.
Ce site, constamment enrichi par Émeric Fisset, développé par Pierre-Marie Aubertel,
a bénéficié du concours du Centre national du livre et du ministère de la Culture et de la Communication.