Valentin Pajetnov

  • David_Adjemian
  • Marc_Alaux
  • Lodewijk_Allaert
  • Joël_Allano
  • Stéphane_Allix
  • Christophe_Apprill
  • Françoise_Ardillier-Carras
  • Jacques_Arnould
  • Vladimir_Arseniev
  • Tchinguiz_Aïtmatov
  • Pierre-Marie_Aubertel
  • Siméon_Baldit_de_Barral
  • Noël_Balen
  • Jamel_Balhi
  • Frédérique_Bardon
  • Jean-Yves_Barnagaud
  • Fabien_Bastide
  • Julie_Baudin
  • Jacques_Baujard
  • Sylvain_Bazin
  • Emmanuel_Béjanin

Village de Boubonitsy, sur le plateau du Valdaï – district de Toropets, oblast de Tver (Russie)
Année 2015
© Olga Gauthier
Naturaliste, spécialiste de la réintroduction des ours à la vie sauvage.

Sur le terrain :


« Cent mètres plus loin, me voilà au milieu d’un vrai troupeau d’ours ! À droite comme à gauche de la route, j’entendais des froufrous d’avoine, des bruits de bouches mouillées, une éructation, un sifflement. Accroupi, je n’osais pas bouger de peur de troubler le festin de ces géants de la forêt. En tendant l’oreille, j’ai calculé qu’il n’y avait pas moins de quatre ou cinq ours en train de pâturer sur une surface d’un hectare. Minuit à ma montre. Un ciel sans fond chamarré d’étoiles, une lune blanche et pleine, un champ d’avoine d’un étrange gris-bleu et le broutement monotone, presque rythmé, d’un ours qui mangeait près de là… Chchchlak : il arrachait les graines à leurs tiges ; tchva-tchva : il mâchait… Un vertige extatique ! D’être là, sous l’astre de la nuit, aux côtés d’une bête sauvage qui vivait sa vie sans se douter de la proximité d’un intrus me faisait appréhender le lien invisible mais palpable qui me rattachait à sa tribu. Je me sentais gagné par son désir primitif de prendre des forces à la nature pour vivre comme elle, simplement, et perpétuer l’espèce, laisser une progéniture aussi naïve et pure que la sienne.
Je traversais un état de transe magique quand l’ours m’a tiré de ma torpeur. Il a soudain poussé un hurlement farouche et a détalé vers le bois le plus proche avec un grand soufflement : han ! L’entendre ainsi déguerpir a mis les autres en alerte. À leurs froufrous, j’ai senti qu’ils quittaient l’avoine pour regagner la forêt, mais sans précipitation. Cette nuit-là, je n’ai pas compris le pourquoi de la fuite panique de cet ours qui mangeait près de moi. J’étais figé, immobile, sur le séant, et me croyais hors de portée de ses sens. Mais plus tard, en travaillant sur les ours, j’ai pu établir que même dans un air stagnant un homme assis irradie sa propre odeur, mètre après mètre, concentriquement ; une odeur que les ours ne redoutent pas moins que la présence palpable d’un homme. »


Extrait de :

L’ours est mon maître
(p. 349, Transboréal, « Sillages », 2016)

© Transboréal : tous droits réservés, 2006-2024. Mentions légales.
Ce site, constamment enrichi par Émeric Fisset, développé par Pierre-Marie Aubertel,
a bénéficié du concours du Centre national du livre et du ministère de la Culture et de la Communication.