Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
Avec ma solitude :

« L’homme qui voyage à pied dans la nature sauvage n’est, selon la jolie expression de Georges Moustaki, jamais seul avec [sa] solitude. D’abord parce que la marche convoque sans cesse, de manière fortuite ou continue, des milliers de souvenirs et de visages, quand elle ne les déploie pas ex nihilo de la mémoire. Dans son dénuement que n’alimente aucune télévision ni radio, que ne perturbe aucun bruit ni musique, que les paroles échangées distraient rarement, l’esprit se remémore maints actes de sa vie passée. Y a-t-il du soleil ? il s’ouvre au monde qui l’entoure. Y a-t-il de la pluie ? il se referme sur son monde intérieur. Malheureusement, lorsqu’un tourbillon de pensées vient à l’agiter, il a tendance à se rappeler davantage les échecs que les réussites, les promesses oubliées que les promesses tenues, les propos désobligeants, les maladresses et les quiproquos que les paroles aimables et les encouragements. Au fil de sa journée, le marcheur en arrive parfois à ruminer ou à refaire littéralement sa vie, en en modifiant un élément déterminant pour inférer tout ce qui aurait pu en découler. S’il se rappelle de manière quasi obsessionnelle ce qu’il a vu, il imagine aussi ce qu’il s’apprête à voir. Il est bercé par l’attente et le souvenir.
Le chemin fait en outre surgir toutes sortes de pensées. Qui, par exemple, en a le premier fait la trace ? Par quelle succession d’allées et venues, par quels efforts, lorsqu’il est magnifiquement empierré ou taillé dans la roche, a-t-il été établi ? A-t-il commencé sous les pieds d’un homme audacieux qui a poussé toujours plus loin son désir d’ailleurs ? A-t-il correspondu au besoin d’un groupe humain à un moment donné de son histoire ? Plus le lieu où le chemin passe est écarté et plus le travail que son établissement a requis et que son entretien requiert encore paraît démesuré. Les chemins dallés qui relient les monastères et les ermitages de la “Sainte Montagne”, et jusqu’à la skiti des Kerasia à la pointe accore de la péninsule, sous les 2 033 mètres du mont Athos, attestent un peuplement millénaire et d’intenses échanges monastiques. Mais il n’est pas partout besoin comme là-bas d’un permis spécial pour arpenter les voies de la mémoire. Les sentiers douaniers de Bretagne, les chemins creux qui strient le Massif central, les drailles caussenardes, les sentes vertigineuses de la Corse ou des Hautes-Pyrénées, les voies qui se devinent dans les chaos rocheux ou les pierriers alpins, les innombrables pistes forestières ou domaniales de France racontent, chacune à sa manière, la vie des bergers, des bouviers, des chasseurs, des cultivateurs, des forestiers… et aussi des résistants, pèlerins, colporteurs, contrebandiers, naufrageurs et bandits de grand chemin.
S’il est pavé de questions, le sentier, par ses vestiges, alimente aussi la réflexion de celui qui l’emprunte. Il voudrait surprendre le chant des lavandières aux mains transies à l’approche du moindre lavoir d’Île-de-France. Il hésite à se signer lui aussi devant les innombrables calvaires en fer forgé de la Beauce, les croix templières et les oratoires de lauzes des Cévennes, les chapelles à la Vierge et aux saints qu’une inscription souvent indéchiffrable signale à l’attention du passant. Il prend le temps de s’asseoir sur un banc face au panorama ou de pousser la porte d’une cabane de berger. Et que dire des fontaines, suintant d’un repli, jaillissant d’une gargouille ou sourdant tout l’hiver, comme dans l’auge en bois de la cabane de Pré Peyret, sur le haut plateau du Vercors ! Quelle intelligence du terrain, quelle connaissance du milieu, quel labeur ! Pour quels besoins et quelles actions de grâces aussi ! Sans doute le signe le plus émouvant du chemin est-il, hormis son balisage, institutionnel ou non, la construction de cairns en zone d’altitude. Quel dévouement représente l’empilement de ces schistes, de ces galets, de ces blocs de granit pour rassurer le randonneur perdu dans le brouillard sur la voie du col ou du sommet ! Et qu’il est émouvant de planter sa tente dans un enclos de pierres qui la coupe du vent, de s’arrêter pour une pause dans un abri, de pierres ajustées aussi, sous le ressaut du pas ou de la hourquette, de se dire que, comme soi-même après eux, des centaines, des milliers de marcheurs ont, au même endroit, éprouvé la même félicité, et qu’en franchissant le seuil de telle improbable hutte des hauteurs, ils ont ressenti le même soulagement ! Le chemin – ses détours, ses signes, ses embûches – autorise une communion unique entre tous ceux qui l’ont emprunté et continuent d’en fouler la poussière. Il ressuscite dans le même contexte, aux mêmes endroits, des émotions universelles. »
(p. 80-83)

L’abandon à l’espace et au temps (p. 13-17)
Le goût de l’humanité (p. 43-45)
Extrait court
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