Collection « Sillages »

  • Treks au Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
Chiloé :

« Il y a peu encore, les Chilotes, peuple d’agriculteurs et de marins, étaient unis dans cette culture populaire. Chiloé est une île à la population clairsemée, un monde cousu d’espaces vierges qui ne demandaient qu’à être peuplés d’histoires à se faire peur. Chez les anciens regroupés en veillées dans le fogón – la maison communautaire –, ce bestiaire local participait d’une sorte de poésie populaire. Et José nous contait par le menu les frasques des uns et des autres.
En réalité, ces présences surnaturelles naquirent d’un syncrétisme entre les mythes venus d’Espagne et des éléments de la cosmovision des Huillinches – les “gens du Sud”. Plus froidement, elles étaient aussi là pour rappeler à chacun que hors la terre, sur les bordures périlleuses du Pacifique, la mort s’impatiente. Et aussi loin que le tío se souvînt, l’océan portait son lot de mises en garde. Pour les marins accomplis, la mort était sournoise, elle rôdait partout sous la mer. Elle ne prélevait aucune vie tant qu’on daignait l’aborder avec égards. De certaines passes, on disait qu’il fallait toujours les franchir à marée haute ou hélice au ralenti. Aux marins disparus sans explication qui tienne, le tribunal des esprits reviendrait rendre sa propre justice. Gare au couperet vengeur ! Gare au retour des braves morts d’une mort violente, sans sépulture ni planche de salut, sans que leur corps fût rendu à la mer dûment amarré à un roc pour maintenir l’âme au fond des eaux. Dans bien des cosmologies, les âmes des marins sont aussi revanchardes que celles des enfants mort-nés. Elles reviennent tourmenter ceux qui les ont insultées ou querellées de leur vivant. Pour cette raison, sur Chiloé, quand on tenait le corps d’un marin décédé à terre, on ne le loupait pas. On le remarquait dans les cimetières des villages. La pierre tombale se devait de peser sur la sépulture pour l’empêcher de s’évader. Les portes des niches sépulcrales étaient parfois fermées par un verrou.
Dans la bouche du tío, le plus intriguant fut alors prononcé : parmi les mirages qui s’emparaient de l’esprit des marins, un navire – le Caleuche – recueillait les malheureux égarés en mer. Selon certains récits, il s’agissait d’un navire festonné d’ampoules qui déambulait à proximité des côtes par les nuits de brume. Ailleurs, c’étaient des miroitements de lucioles jetés à l’eau dans une nuit de poix. L’embarcation insaisissable cherchait le repos d’une terre où mettre fin à son errance. Ce port d’attache improbable était identifié comme… la cité des Césars. Contre toute attente, ma chimère apparaissait sur la frange des mythes chilotes. Révélation de premier choix. Fallait-il parler de hasard objectif ? Était-ce si étonnant ? À y regarder de près, tout se tenait.
Dans la mythologie chilote, la cité mystérieuse était une garantie de bonheur perpétuel, sorte de futur eschatologique. Le lieu du refus de la mort, du retour à la terre où l’existence poursuivait son aventure. Ce retour à la matrice était une manière juste de gagner l’immortalité. Que les âmes des disparus festoient à bord d’une sorte de cabaret flottant fagoté pour les grands soirs, cela n’avait rien de surprenant. Il s’agissait de la dernière grâce d’un amène purgatoire avant le débarquement sur une terre connue du seul gouvernail. Les pauvres bougres ne pouvaient errer comme des damnés. Détaché du temps, le navire les envoyait vers une cité secrète. Nouvelle inscription dans l’ordre du cosmos, l’universel voyage des âmes figurait justement dans la cosmogonie des Huillinches, peuple premier de Chiloé.
Si, dans les descriptions, la cité était parfois pavée d’or ou si ses résidants y dînaient avec des couverts d’argent, le Caleuche en apportait la raison. Des vaisseaux jadis partis du Pérou chargés de l’or des Incas n’avaient jamais atteint l’Espagne pour avoir disparu quelque part sur les côtes chiliennes. Une rumeur tenace racontait qu’une partie des équipages avait trouvé refuge dans un lieu propice à son établissement. Ils auraient fondu les métaux précieux dont les cales regorgeaient et fabriqué les ustensiles domestiques et autres objets assurant leur confort. Ne passait-on pas au large de Chiloé pour gagner les mers du Sud ? Au XVIIe siècle, Jacob L’Hermite et Enrique Brower, pirates hollandais à la réputation de pyromanes notoires, venaient en aide à la légende. Leurs raids incendiaires contre les premières escales prolongées des Espagnols sur l’archipel dissuadèrent l’ennemi. Quelques coups de canon bien ajustés, puis ils reprenaient le large aussi vite qu’ils étaient apparus sur l’horizon. La légende du Hollandais volant avait puisé dans ces attaques furtives pour forger le mythe d’un navire fantôme. Wagner l’immortalisa dans son opéra. »
(p. 85-87)

L’heure des bibliothèques (p. 54-56)
Le Sud à petite vapeur (p. 153-156)
Extrait court
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