Un drôle de petit bateau :
« Disons-le tout net, le kayak de mer est un drôle de bateau. Ni mât ni voile. Pas de quille, ni d’amarres. Sait-on ce qu’il reste d’un navire sans moteur, d’un bâtiment sans couchette ou d’un vaisseau sans canon ? Toutefois, il n’est ni un rafiot ni coquille de noix. Peut-il pour autant prétendre à de véritables qualités marines ? À l’évidence, il n’est pas conçu pour rallier des terres lointaines, mais offre un vrai compromis entre exigences de la navigation et plaisir de la glisse. Reconnaissons cependant qu’il peut surprendre par sa flottabilité en milieu marin parfois hostile.
Lors d’une navigation difficile, j’ai eu l’occasion de reconsidérer ma confiance en lui. Parti de Quiberon, je m’étais fixé de gagner Belle-ÃŽle, à près de 10 milles. Équipé pour un tour de cette dernière en trois jours, j’envisageais de filer à la pagaie sur Houat et Hoëdic, y faire des escales secondaires. J’ai mesuré à quel point un tel périple faisait naître des émotions contradictoires, de l’enchantement à la frayeur. Au cours de la traversée à l’étale, je me rappelle le bonheur de la glisse de mon bateau calé sur ses lignes, de la tenue du cap en direction de Sauzon et de l’absence de dérive. Je garde en revanche un souvenir mitigé de la pointe des Poulains, de la côte Sauvage et des traversées entre les îles sœurs, Houat et Hoëdic, route dictée par les conditions délicates. Le vent et les courants imposèrent à mon kayak de multiples sollicitations. Dans la houle hachée, les masses d’eau le ballottèrent, le comprimèrent et lui infligèrent une gîte maximale. Au creux comme au sommet des vagues, la puissance des flots et des embruns le fit déjauger, puis enfourner son étrave avec fracas? Mais comme tous les kayaks de grande randonnée, il devait son assurance d’abord à ses qualités intrinsèques, qui n’ont rien de fortuites : l’usage de matériaux compacts combiné au profil garantit à la plupart des modèles une solidité digne de la construction navale, gage de sécurité. Il dispose d’une carène et d’une ligne de flottaison qui, outre une silhouette effilée, lui confèrent le meilleur rapport entre surface immergée et vitesse. Il présente aussi un judicieux équilibre entre stabilité et direction. Équipé d’une coque à fond plat ou à bouchains, il permet de franchir aisément les vagues grâce à sa proue et sa poupe relevées. Et pour réduire la gêne née de la dérive occasionnelle, sa coque se prolonge souvent vers l’arrière par une quille minuscule. De par sa taille, il est manœuvrable, léger et fluide. En raison de cette alchimie, il présente une capacité de glisse incontestable.
Sa sûreté, il la doit aussi à son petit équipement, sans commune mesure avec la technologie et l’électronique des voiliers ! Rien n’est laissé au hasard, tant il peut se révéler vulnérable par gros temps : la ligne de vie, la bien nommée, fait le tour du pont afin que le marin puisse s’y accrocher en cas de chavirage ; un bout de remorquage, des fusées, une radio VHF et une pompe d’assèchement s’ajoutent au compas de route, à l’écope, aux longes, à la cadène et aux filets qui peuvent recevoir les effets du jour. Un safran et ses élingues complètent parfois le dispositif. Enfin, la fiabilité du navire s’augmente des compartiments étanches. Munis de trappes, ils ferment l’avant et l’arrière du cockpit, réservé au tronc du pagayeur. Le matériel indispensable au voyage y est transporté au sec. Reste à savoir se munir de l’essentiel, et rien que de l’essentiel, la check-list étant évidemment proportionnelle au volume des caissons !
Ainsi, ce “petit bateau tout temps” possède des qualités rassurantes dans la plupart des conditions de mer. Mais quel est l’aventurier téméraire qui plonge dans l’inconnu à bord d’un tel navire ? »
Embarquer (p. 11-14)
Donner et recevoir (p. 75-78)
Extrait court
« Disons-le tout net, le kayak de mer est un drôle de bateau. Ni mât ni voile. Pas de quille, ni d’amarres. Sait-on ce qu’il reste d’un navire sans moteur, d’un bâtiment sans couchette ou d’un vaisseau sans canon ? Toutefois, il n’est ni un rafiot ni coquille de noix. Peut-il pour autant prétendre à de véritables qualités marines ? À l’évidence, il n’est pas conçu pour rallier des terres lointaines, mais offre un vrai compromis entre exigences de la navigation et plaisir de la glisse. Reconnaissons cependant qu’il peut surprendre par sa flottabilité en milieu marin parfois hostile.
Lors d’une navigation difficile, j’ai eu l’occasion de reconsidérer ma confiance en lui. Parti de Quiberon, je m’étais fixé de gagner Belle-ÃŽle, à près de 10 milles. Équipé pour un tour de cette dernière en trois jours, j’envisageais de filer à la pagaie sur Houat et Hoëdic, y faire des escales secondaires. J’ai mesuré à quel point un tel périple faisait naître des émotions contradictoires, de l’enchantement à la frayeur. Au cours de la traversée à l’étale, je me rappelle le bonheur de la glisse de mon bateau calé sur ses lignes, de la tenue du cap en direction de Sauzon et de l’absence de dérive. Je garde en revanche un souvenir mitigé de la pointe des Poulains, de la côte Sauvage et des traversées entre les îles sœurs, Houat et Hoëdic, route dictée par les conditions délicates. Le vent et les courants imposèrent à mon kayak de multiples sollicitations. Dans la houle hachée, les masses d’eau le ballottèrent, le comprimèrent et lui infligèrent une gîte maximale. Au creux comme au sommet des vagues, la puissance des flots et des embruns le fit déjauger, puis enfourner son étrave avec fracas? Mais comme tous les kayaks de grande randonnée, il devait son assurance d’abord à ses qualités intrinsèques, qui n’ont rien de fortuites : l’usage de matériaux compacts combiné au profil garantit à la plupart des modèles une solidité digne de la construction navale, gage de sécurité. Il dispose d’une carène et d’une ligne de flottaison qui, outre une silhouette effilée, lui confèrent le meilleur rapport entre surface immergée et vitesse. Il présente aussi un judicieux équilibre entre stabilité et direction. Équipé d’une coque à fond plat ou à bouchains, il permet de franchir aisément les vagues grâce à sa proue et sa poupe relevées. Et pour réduire la gêne née de la dérive occasionnelle, sa coque se prolonge souvent vers l’arrière par une quille minuscule. De par sa taille, il est manœuvrable, léger et fluide. En raison de cette alchimie, il présente une capacité de glisse incontestable.
Sa sûreté, il la doit aussi à son petit équipement, sans commune mesure avec la technologie et l’électronique des voiliers ! Rien n’est laissé au hasard, tant il peut se révéler vulnérable par gros temps : la ligne de vie, la bien nommée, fait le tour du pont afin que le marin puisse s’y accrocher en cas de chavirage ; un bout de remorquage, des fusées, une radio VHF et une pompe d’assèchement s’ajoutent au compas de route, à l’écope, aux longes, à la cadène et aux filets qui peuvent recevoir les effets du jour. Un safran et ses élingues complètent parfois le dispositif. Enfin, la fiabilité du navire s’augmente des compartiments étanches. Munis de trappes, ils ferment l’avant et l’arrière du cockpit, réservé au tronc du pagayeur. Le matériel indispensable au voyage y est transporté au sec. Reste à savoir se munir de l’essentiel, et rien que de l’essentiel, la check-list étant évidemment proportionnelle au volume des caissons !
Ainsi, ce “petit bateau tout temps” possède des qualités rassurantes dans la plupart des conditions de mer. Mais quel est l’aventurier téméraire qui plonge dans l’inconnu à bord d’un tel navire ? »
(p. 18-21)
Embarquer (p. 11-14)
Donner et recevoir (p. 75-78)
Extrait court