Interviews


Santa Cruz del Quiché – Quiché (Guatemala)
Année 2005
© David Ducoin

Julie Baudin – Le fruit de l’expatriation
propos recueillis par Marc Alaux

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D’où vous est venue l’idée d’écrire sur le Pérou ?
J’ai découvert le Pérou à la fin de 2006 lors d’un voyage que mon compagnon et moi avions entrepris de l’Alaska à la Terre de Feu. À l’époque, nous n’y sommes restés que deux mois, mais ce pays m’avait déjà beaucoup marqué, tout comme sa voisine la Bolivie. Quand j’y suis retournée en 2012 pour y vivre, j’ai été surprise par les changements qui s’y étaient opérés, notamment économiques, parallèlement à une sorte d’immobilisme de toute une partie de la société, restée conservatrice et traditionnelle. Je suis fascinée par le multiculturalisme du Pérou, aussi bien ethnique qu’historique, géographique ou social, qui place ce pays dans une position très particulière dans le phénomène contemporain d’uniformisation du monde. En tant qu’observatrice, je remarque avec quelle difficulté les classes et les générations coexistent, quand elles ne s’ignorent pas. Et je m’interroge sur l’avenir des cultures et traditions péruviennes engagées dans un processus de mutation irréversible.

En quoi le format des nouvelles correspondait-il à votre état d’esprit et à vos envies ?
Le Pérou est un pays d’une richesse indescriptible, tant par sa géographie complexe (désert côtier, Andes, Amazonie) que par sa population aux origines multiples (Amérindiens, Africains, Européens, Asiatiques) et à l’organisation sociale fondée sur les vestiges d’un schéma colonial obsolète. C’est dire qu’il y a beaucoup à écrire ! Le format des nouvelles était donc tout à fait adapté aux visages multiples du pays et de ses habitants. Cependant, j’ai voulu qu’au travers de ces courtes fictions le lecteur ressente l’emprise de l’histoire sur mes personnages, quelle que soit leur origine ethnique ou sociale. Ces onze nouvelles forment un tout, une série de destins allant vers un avenir commun malgré un présent différent en apparence ; un présent fait des mêmes interrogations, des mêmes doutes, des mêmes espoirs.

Quel est le fruit principal de votre longue expatriation ?
Le fruit principal, c’est ma fille ! Pour moi, mon expatriation a été marquée par la maternité, ce qui a rendu mon expérience unique. Dans ce sens, j’ai appris à élargir ma vision sur l’éducation d’un enfant et à accepter la différence sans la juger. En règle générale, aux niveaux professionnel et personnel, l’expatriation m’a fait prendre conscience de l’importance qu’a ma culture dans mon existence et à quel point elle constitue l’un des piliers de ma personnalité. J’ai dû apprendre à ne pas la rejeter, ni à la considérer comme un modèle exclusif, mais plutôt à l’envisager comme une base sur laquelle construire ma vie, même dans une société qui n’a pas développé les mêmes valeurs. Évoluer harmonieusement dans un milieu différent du sien tout en étant fidèle à soi-même et aux valeurs que l’on chérit, je crois que c’est plus grand défi qui s’est présenté à moi.

Quel projet nourrissez-vous à présent ?
Après bientôt cinq années passées à Cusco, au Pérou, je nourris le projet de revenir vivre en France et d’y développer mon activité de photographe. L’expatriation m’a enseigné à élargir mon champ de vision et à oser donner vie à mes aspirations, mais elle m’a aussi donné le goût de mon pays et de ma culture, que je n’ai jamais perdus de vue. Quitter le Pérou, c’est tourner une page pour en écrire une nouvelle où ce pays aura aussi sa place, puisque c’est le pays de ma fille. Mais je ressens à présent le besoin de retrouver mes racines et mes origines pour mieux cultiver le fruit des découvertes de ces dernières années.

De quel ouvrage conseillez-vous la lecture pour une bonne connaissance du Pérou ?
Rien de tel qu’un auteur péruvien pour vous faire comprendre le Pérou. Je ne peux donc que conseiller les ouvrages de Mario Vargas Llosa, tels que Lituma dans les Andes ou Qui a tué Palomino Molero ?, qui donnent à voir le Pérou meurtri par les années du Sentier lumineux. Dans un ton beaucoup plus léger, Éloge de la marâtre est un roman savoureux sur la bourgeoisie liménienne et ses travers, tandis que Le Héros discret tire le portrait de la société de Piura au XXIe siècle. Dans un registre plus historique, je conseille la lecture des Pérégrinations d’une paria de Flora Tristan, la grand-mère de Paul Gauguin (auxquels Mario Vargas Llosa a consacré son roman Le Paradis, un peu plus loin) et dont le père était originaire d’Arequipa. Son récit relate l’aventure qui l’a amenée à entreprendre la traversée de l’Atlantique dans la première moitié du XIXe siècle pour rencontrer sa famille paternelle. La fraîcheur de l’écriture traduit celle de l’esprit : celui d’une femme en quête de liberté et de justice dans une société conservatrice.
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