Interviews


Sur les berges de la Seine à Conflans-Sainte-Honorine – Yvelines (France)
Année 2014
© Émile Omnès

Jacques Baujard – L’amitié avant tout
propos recueillis par Hélène Leboucher

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À quand remonte votre découverte de l’œuvre de Panaït Istrati ?
Panaït Istrati a d’abord été un nom pour moi. Au sein du milieu libertaire, il n’était pas rare d’entendre un lecteur ou un militant, les yeux brillants d’excitation – ou de nostalgie ? –, citer le vagabond roumain. Il y a trois ans, ce nom a pris l’apparence d’un livre. Quelqu’un est venu me commander l’un de ses romans à la librairie Quilombo où je travaille : Nerrantsoula. Cette personne n’est jamais venue le récupérer. Intrigué, j’ai fini par me plonger dans l’histoire de cette petite porteuse d’eau de Braïla, port du Danube, et à me noyer dans ses refrains. Très peu de temps après, grâce à une amie, ses livres sont devenus une œuvre. Aujourd’hui, avec le travail qu’a demandé cette biographie, mes recherches m’ont permis d’en connaître bien plus sur l’écrivain et le voyageur. Mais surtout, et c’est peut-être le plus important finalement, j’ai eu l’incroyable chance de découvrir l’homme qu’il était.

Que vous apporte votre implication dans l’association des Amis de Panaït Istrati ?
Des rencontres ! Istrati a un incroyable pouvoir fédérateur et il a la capacité de réunir des personnes d’horizons très divers. Sans l’association, je n’aurais jamais croisé leur route. C’est notamment grâce à l’une d’entre elles que j’ai pu découvrir la Roumanie. Au cours de ce voyage, Camelia Spanescu, présidente de l’association roumaine des amis de Panaït Istrati, m’a accueilli à bras ouverts dans la famille « istratienne », la grande fratrie des « rêveurs qui sont le sel de la terre ». Istrati m’a apporté tellement sur le plan humain et littéraire que je me considère redevable envers lui. Ce qui explique, je pense, mon ardente implication dans l’association et dans la redécouverte de ses œuvres.

Quelle est la spécificité de votre biographie ?
« Le charme, le pittoresque, l’intéressant de la vie d’un homme à l’âme puissante, tumultueuse, et en même temps aventureuse, n’est pas toujours dans les faits saillants de cette vie. Dans le détail réside le plus souvent la beauté. Mais qui écouterait le détail ? Qui le goûterait ? Qui le comprendrait, surtout ? » Lors de l’écriture de cette biographie, ce passage de Kyra Kyralina tournait en boucle dans mon esprit. Par fidélité à l’œuvre d’Istrati, je me suis attaché à mettre bout à bout quelques-uns de ces détails a priori sans importance, qui révèlent cependant mieux que n’importe quelle étude historique ou littéraire la vie et les facettes de cet homme extraordinaire.

En quoi son œuvre reste-t-elle d’actualité selon vous ?
À côté des dogmes religieux (Père, Fils & Saint-Esprit) et politiques (Travail, Famille, Patrie), l’œuvre d’Istrati réunit sous son étendard une trinité beaucoup plus universelle : amitié, révolte, littérature. L’amitié, car comme le dit Capra dans La vie est belle : « Un homme qui a des amis ne connaît pas l’échec. » Seuls les amis ont les épaules assez solides pour vous aider dans les batailles de la vie. La révolte, car en tant qu’être humain normalement constitué, on ne peut vivre sereinement sans tenir compte des immenses inégalités provoquées par le système capitaliste de notre époque ; on se doit de réparer l’injustice. Et la littérature pour s’élever spirituellement, pénétrer de nouvelles cultures et, surtout, cultiver l’amitié et faire fleurir la révolte. Quand on s’intéresse à l’œuvre d’Istrati, l’on ne peut que se lever et aller de l’avant. Voilà un homme avec ses faiblesses, ses passions et ses paradoxes, ses joies et ses peines. Et malgré tout, voilà un homme qui vous donne envie de vivre.

De tous les textes d’Istrati, lequel chérissez-vous tout particulièrement ?
Sans aucune hésitation, Présentation des Haïdoucs. Bandits d’honneur de Roumanie, les haïdoucs sont les Robin des Bois balkaniques du XIXe siècle et leur place demeure encore très importante dans le folklore roumain. La puissance littéraire de ce roman d’Istrati est si forte, le récit tellement prenant, que l’on a véritablement l’impression d’être assis au coin du feu, au côté de ces brigands au grand cœur, les écoutant conter leur révolte, leur histoire. De nombreuses personnes, à la lecture de la dernière réplique, ont supplié : « encore ! » Un autre texte plus politique tient une bonne place dans mon cœur. C’est sa Préface à Adrien Zograffi ou les aveux d’un écrivain de notre temps. Après son témoignage critique de l’URSS, calomnié par les staliniens, abandonné par ses amis, Istrati trouve la force en 1932 de répondre par un formidable cri : « Vive l’homme qui n’adhère à rien ! »
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