Interviews


Iekaterinbourg – Oural (Russie)
Année 2004
© Géraldine Dunbar

Géraldine Dunbar – Russe un jour, russe toujours
propos recueillis par Léopoldine Leblanc

Archives des interviews

Dix ans après votre premier voyage à bord du Transsibérien, quels liens maintenez-vous avec la Russie ?
Je reste toujours en contact avec de nombreux amis là-bas. Les années que j’y ai vécues sont parmi les plus belles de ma vie… Je n’ai pour le moment pas la possibilité d’y retourner, mais j’espère bien pouvoir le faire un jour avec mes deux enfants. Pour l’heure, je me contente de nombreuses lectures, et aussi de chansons russes désespérées !

Du récit de voyage à la fiction, d’où vous est venu le goût de l’écriture ?
Je ne sais pas d’où me vient ce goût… J’écris sans doute parce que je ne sais pas chanter, ni composer ! Je ne saurai jamais écrire de la musique, alors je comble ce manque par les mots. Il existe une douce pensée chez Balzac, que je partage : « J’ai accompli de délicieux voyages, embarqué sur un mot. » Cela donne un peu de courage ! Lorsque je suis partie quatre mois en train à travers la Russie, je n’étais pas partie avec l’objectif d’écrire un livre. Mais les rencontres que j’ai réalisées furent tellement fortes que j’eus besoin de les retranscrire dans le journal intime que j’ai tenu avec bonheur. Ce rendez-vous journalier me combla. C’est à mon retour en France que je me suis rendu compte qu’il fallait en faire un livre, à la fois pour rendre hommage à la population, le « vrai grand monde » dont parlait Tolstoï, qui s’adapte à la nouvelle réalité économique avec courage, et pour témoigner aussi de la coexistence de deux générations fascinantes, l’une soviétique et l’autre postsoviétique. La Russie vit une expérience sociale tout à fait unique dans l’histoire, qui sera rapidement effacée des mémoires. Il m’a paru important de l’évoquer. Le recueil de nouvelles Bons baisers du Baïkal est en quelque sorte un prolongement du voyage, où le facteur humain prédomine : les histoires parlent d’êtres simples et bons, tourmentés pour la plupart, mais qui se révèlent à eux-mêmes dans des aventures rocambolesques. Le courage et la grandeur d’âme sont partout, en réalité, et cela fait du bien d’en parler !

Pourquoi avoir choisi le lac Baïkal comme lieu central de vos nouvelles ?
Sans doute parce que c’est le plus bel endroit que j’ai vu jusqu’à présent sur terre. Lors de mon voyage en Sibérie, j’ai été littéralement happée par la majesté du Baïkal, sa lumière et son silence. Il fut d’ailleurs difficile de m’arracher à cet endroit pour poursuivre l’aventure jusqu’à Vladivostok ! Mais cette « rencontre » fut décisive. Je vis quotidiennement avec la nostalgie de la Sibérie et de ses habitants. L’un des moyens de l’apprivoiser, c’est d’écrire des histoires qui naissent dans l’esprit sous formes d’images… Sur le Baïkal, elles sont éblouissantes. Fiodor, l’un des personnages du livre, évoque son lac en disant : « Ici, nous vivons dans un coup de foudre permanent. » J’ai tenté de retranscrire cette sensation à travers des histoires fortes où le merveilleux côtoie la réalité.

Certaines histoires sont-elles inspirées d’événements vécus en Russie ?
Non, les nouvelles du recueil ne sont pas issues d’événements vécus, hormis un texte, qui m’est intime. En revanche, la plupart des personnages sont directement inspirés de mes voyages en Russie. C’est le cas, entre autres, pour « Le cheminot et le fantôme » : la première rencontre que j’ai faite lors du périple en Transsibérien fut avec un cheminot. Nous avions passé vingt-quatre heures ensemble dans le même compartiment de Moscou à Iekaterinbourg et conversé toute la nuit ; aussi, au terme du voyage, nous sommes-nous quittés en larmes, car nous savions que nous ne nous reverrions jamais. J’évoque cet échange dans le récit Seule sur le Transsibérien. Sans le savoir, cet homme a contribué à ma façon de voir et d’appréhender la vie. Je pense souvent à lui, dix ans après…

Quel auteur russe pour partir en voyage ?
Je ne suis pas certaine qu’il faille prendre des livres lorsque l’on part… Mieux vaut partir juste avec l’esprit et le cœur, rien d’autre ! En revanche, il est important de préparer le voyage avec de nombreuses lectures. Personnellement, j’aime beaucoup les auteurs classiques – Tolstoï, tous ses récits, profondément humains, et ses romans, notamment Résurrection, qui reste largement méconnu. Mais il convient de varier les lectures : du fantastique avec Gogol, Tchékhov, Nabokov, et un peu de tragique avec Dostoïevski – pour se remonter le moral !
© Transboréal : tous droits réservés, 2006-2024. Mentions légales.
Ce site, constamment enrichi par Émeric Fisset, développé par Pierre-Marie Aubertel,
a bénéficié du concours du Centre national du livre et du ministère de la Culture et de la Communication.