Interviews


Cercle Christian-Tissier à Vincennes (France)
Année 2009
© Matthieu Raffard

Arnaud Cousergue – L’œil du maître
propos recueillis par Marine de Bouillane de Lacoste

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Dans quel contexte historique est né le ninjutsu et comment le pratiquez-vous ?
À la période des Royaumes combattants (1561-1603), des villages isolés de la province montagneuse d’Iga ont refusé l’unification du Japon. Leur communauté marginale étant incapable d’affronter une armée professionnelle, ils entrèrent en résistance et furent surnommés « les hommes cachés », ninja en japonais. Au bout de dix ans, ils abandonnèrent Iga mais pas la guérilla : le riziculteur maîtrisait les techniques d’assèchement et d’inondation ; le médecin, les empoisonnements ; le charpentier, les armes truquées, etc. Ils proposèrent leurs savoir-faire aux ennemis de Nobunaga Oda, l’unificateur. Apparurent ainsi plus de soixante-dix « clans ninja » très spécialisés. La pratique actuelle est tournée vers l’adaptation qui sous-tend l’ensemble de nos activités martiales. Non restreint par le code rigide du bushidô, le pratiquant développe ses capacités morales et d’analyse pour réussir pleinement sa vie.

Quels conseils prodiguer au débutant sur le tatami ?
Un élève doit regarder, écouter, obéir et garder le silence s’il veut percer le gokui, l’essence de l’art martial. Il observe ce qui lui est montré, ce qui est visible et ce qui ne l’est pas : la vérité est le résultat d’un polissage répété, d’un processus de maturation qui prend des années. L’élève écoute, obéit et ne discute pas le pourquoi des choses : l’enseignement est le résultat de siècles d’expérience et sa logique est imperceptible par le débutant. L’obéissance est la clé de la compréhension. C’est dans la réalisation de la technique que l’enseignement s’accomplit. Obéir devient alors la meilleure manière d’appréhender la connaissance et de l’assimiler rapidement. Et tout cela ne se met en place que si l’élève apprend, dans le silence, à concentrer son mental et son corps sur l’objet d’étude.

Quel lien unit l’instructeur d’arts martiaux et son élève ?
Au Japon on appelle le professeur sensei, « celui qui est né avant (vous) dans la technique ». Il ne s’agit pas d’un maître au sens occidental, mais simplement de quelqu’un qui a l’expérience de ses erreurs et guide les nouveaux arrivants sur le chemin, afin qu’ils évitent les écueils que lui a dû surmonter. Quand le sensei et l’élève se reconnaissent réciproquement, un lien quasi filial est créé. Il permettra l’éducation martiale du disciple. Sans cette « filiation martiale », il n’y a pas de connexion et l’élève, aussi doué soit-il, s’égare dans les méandres de ses interprétations erronées.

Votre quête du geste parfait est-elle possible au Japon, « pays de l’erreur permanente » pour le voyageur ?
Soyons clairs : le geste parfait n’existe pas. Si perfection il y a, elle ne peut être que d’ordre spirituel. Mais au Japon et ailleurs, les erreurs que nous commettons nous enseignent beaucoup. Quand je définis le Japon comme le « pays de l’erreur permanente », j’insiste sur le fait que, confrontés à une société dont les tenants et les aboutissants nous échappent en permanence, nous avons la possibilité d’utiliser ce sentiment d’insécurité pour nous recentrer, nous « recréer ». Dès lors, la quête sans fin commence et nous enrichit. Le concept même de quête ne contient pas de notion de fin : c’est un travail de recherche dont l’aboutissement est notre propre mort.

Selon vous, quel écrivain japonais a décrit les arts martiaux avec le plus de vérité ?
Plusieurs écrivains de valeur ont écrit de belles choses sur l’esprit des arts martiaux, mais peu d’entre eux vécurent l’art martial ou furent personnellement confrontés à la guerre. Le rédacteur du bushidô, Nitobe, n’était qu’un fonctionnaire sans expérience du combat réel. Son discours avait davantage une vertu éducative à destination des jeunes samurais qu’une vertu combative. Un peu comme la chevalerie, idéalisée chez nous, et devenue un archétype à partir du XIIIe siècle. Je pense toutefois que chacun peut trouver des réponses intéressantes chez les auteurs suivants : Sun Zu dans L’Art de la guerre, Musashi dans Traité des cinq roues, Yamamoto dans Hagakure, Yagyu dans Le Sabre de vie, Takuan dans L’Esprit indomptable ou encore Yoshikawa dans La Pierre et le sabre.
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