Interviews


Dans la vallée de la Katoun – Altaï (Russie)
Année 2011
© Émeric Fisset

Julie Boch – Un sentiment inégalé de liberté
propos recueillis par Matthieu Delaunay

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Quelles aspirations vous ont menée au Kamtchatka ?
D’abord, « Kamtchatka » est un mot qui fait rêver, qui fait songer aux confins absolus… Géographiquement ensuite, c’est une péninsule qui représente le bout de l’Eurasie, un pont avec le continent américain, et historiquement enfin, c’est la dernière partie de l’Empire russe découverte et conquise par les Cosaques, la « dernière frontière ». Et puis cette région a un passé chargé de noms glorieux : Béring y a fondé la ville principale, Lapérouse y a fait escale.

Le goût du voyage est-il le prolongement du goût pour la vie dans la nature ?
C’est surtout une conjonction entre le plaisir que donne la beauté naturelle d’un lieu, sa spécificité géographique, et l’expérience intense de l’indépendance physique en terrain difficile. La prise de risque est souvent vue comme déraisonnable dans notre société ; pourtant, elle procure un sentiment inégalé de liberté. Il y a aussi une quête, une recherche de la nature intacte, quasiment inviolée, parce qu’un milieu préservé est par essence magnifique. Enfin, faire une trace singulière dans le paysage est une forme excitante de retour aux sources.

Qu’allez-vous chercher dans le fait de voyager à pied et de manière dépouillée ?
Un paradoxe. C’est en arpentant des régions sauvages et reculées, quasiment inhabitées, que l’on retrouve le goût de l’humanité. Dès lors que l’humain est rare, sa rencontre est plus précieuse. Et le fait de voyager à pied implique une lenteur qui permet d’apprécier la diversité des territoires traversés, de voir de près la faune sauvage. Cela permet également une grande autonomie et donne le sentiment d’une puissance réelle : on peut traverser des déserts, des forêts, des plateaux volcaniques… tout ou presque est franchissable à pied ! C’est cette polyvalence, et la totale indépendance qu’elle procure que je trouve idéale.

Quels projets de voyage mûrissez-vous pour un avenir plus ou moins proche ?
Il y en aurait, idéalement, trois. J’aimerais retourner en Sibérie, et marcher du lac Baïkal au lac Issyk-Koul au Kirghizistan. C’est un itinéraire qui traverse une multitude de paysages et permet de rencontrer plusieurs populations autochtones. J’aimerais aussi aller en Nouvelle-Zélande, un pays qui condense des paysages très divers pour une superficie relativement modeste, permettant d’effectuer un voyage vrai, poussé à la découverte de l’intégralité d’un territoire. Et puis, il y aurait la Patagonie, à pied ou en kayak de mer. Trois rêves plus ou moins accessibles, qui ne se concrétiseront peut-être jamais…

La littérature de voyage est-elle un genre mineur ?
Il n’y a pas de genre mineur, il n’y a que de bons et de mauvais écrivains. Un bon récit de voyage doit décrire sans ennuyer, le point de vue de l’auteur doit être perceptible mais jamais narcissique, avec un juste milieu entre la vérité et la nécessaire mise en forme que demande la matière brute. C’est un exercice difficile, parce que l’équilibre entre didactisme et subjectivité, description et impression est compliqué à trouver. En voyage, j’aime beaucoup emporter des romans d’auteurs locaux, car la fiction est le meilleur sésame pour entrer dans l’esprit d’un peuple, et aussi un récit ancien sur la région traversée, parce que je trouve émouvant de déceler des permanences entre ce que je lis et ce que je vois. Sur la Russie, le marquis de Custine, qui y voyagea en 1839, est un auteur excellent, à la plume merveilleuse, qu’il met au service de passionnantes réflexions qui vont de l’art à la politique. Parmi les romanciers russes contemporains, j’aime bien Vassili Axionov et Andreï Makine.
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