Interviews
Jean Lautier-Gaud – Petit essai d’etnalogie
propos recueillis par Claire Dufaure
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Comment est né votre intérêt pour les volcans ?
Aussi loin que mes souvenirs remontent, j’ai toujours été fasciné par les forces colossales qui régissent notre univers et notre planète. Le ciel étoilé et ses trous noirs. Une chaîne de montagnes qui constituait il y a des dizaines de millions d’années le plancher de la mer. Un tremblement de terre. En approchant de ces objets gigantesques, même par la pensée, je ressens un vertige face à une immensité et une puissance démesurée. Les volcans font partie de ces lieux privilégiés, d’autant plus que certains sont « facilement » accessibles : on peut littéralement toucher du doigt la démesure. Je me souviens avoir un jour pris conscience qu’un volcan constituait une porte brièvement ouverte sur le cœur bouillonnant de notre planète et qu’il était possible d’y jeter un regard. Pour ne rien gâcher, les volcans sont souvent orfèvres de paysages exceptionnels où se mêlent le feu et l’eau. Je crois que c’est cette violence de la nature qui m’a mis en mouvement. D’ailleurs dans mon texte, une expression revient à plusieurs reprises : crainte et fascination.
Quel aspect de votre voyage à Catane vous a le plus marqué ?
Sans hésitation, la présence constante de l’Etna dans chaque recoin de la ville, à chaque instant. Qu’on arrive en bus, en train ou en avion, on est immédiatement soumis à la masse écrasante du volcan. Une fois en ville, même quand le corps puissant de la montagne n’est plus en vue, les stigmates des éruptions précédentes sont partout. Le pavement des rues. Les fondations des palais et des immeubles. Un jour, j’ai eu la chance de dîner avec mes compagnons d’expédition dans un restaurant dont la salle est aménagée dans une grotte de lave, au fond de laquelle coule une rivière souterraine. Ce soir-là, je suis entré dans le volcan. Plus tard, en visitant un ancien monastère, je me suis retrouvé au pied d’une muraille noire au sommet de laquelle était juchée une enfilade de maisons : là s’était arrêté la tristement célèbre coulée de lave de 1669. C’est en m’imprégnant de cette atmosphère que m’est apparue la question d’un lien entre cette nature violente et le tempérament chaud des Catanais. Mon livre propose plusieurs éléments de réponse.
En tant que scientifique, en quoi l’approche mythologique complète-t-elle la perception que vous avez des volcans ?
L’expédition qui nous a conduits au sommet m’a fait comprendre que l’approche mythologique et l’approche scientifique moderne sont deux tentatives d’intégrer la démesure violente de la nature dans notre conception du monde. Les poèmes antiques représentent donc pour moi un autre langage. Je reçois désormais les textes mythologiques comme un précieux témoignage de la perception que pouvaient avoir les femmes et les hommes qui vivaient sur place durant l’Antiquité, et même avant ! L’écriture de mon récit m’a fait arriver à une nouvelle hypothèse, selon laquelle l’approche scientifique et l’approche mythologique jouent un rôle commun : participer à sensibiliser les populations locales aux risques naturels de leur environnement et ainsi contribuer à leur préservation.
Parlez-nous de la relation de l’être humain au volcan telle qu’elle s’exprime en Sicile.
Au cours de mes séjours à Catane, j’ai constaté que beaucoup de Siciliens vivent avec une certaine désinvolture vis-à-vis du volcan. Ils ont appris à vivre avec. Un peu comme à Naples d’ailleurs. Je comprends que cela vient du fait qu’il peut s’écouler de longues périodes de temps entre deux éruptions majeures, et que les habitants doivent quotidiennement davantage faire face à des désagréments qu’à des dégâts majeurs voire des morts (fermeture temporaire de l’aéroport, pluie de cendres ou de scories sur l’agglomération). En faisant les comptes, l’Etna apparaît d’ailleurs plutôt bénéfique, en attirant les touristes. Plusieurs témoignages m’ont de surcroît laissé entendre qu’au final, c’est lui, l’Etna, qui décide ; et de là découle une certaine tranquillité. En revanche, j’ai senti que beaucoup tirent une fierté d’appartenir à cette terre, d’avoir leurs racines plongées dans cette roche noire. Cette fierté atteint son paroxysme en février, lors des célébrations annuelles de Sant’Agatha, pendant lesquelles les processions et célébrations se succèdent dans les rues.
Quel récit sur les volcans (ou sur la Sicile) nous conseillez-vous ?
Lors d’un de mes séjours en Sicile, j’ai lu avec grand plaisir la fresque historique dépeinte dans Le Guépard, où Giuseppe Tomasi di Lampedusa nous fait vivre l’annexion de la Sicile par l’Italie en 1860. Ce livre, adapté au cinéma par Visconti en 1963, permet de saisir une partie de l’histoire moderne de l’île et de son statut si spécial. Pour ce qui est des volcans, j’ai beaucoup apprécié voyager avec le beau livre La Terre en feu, de Philippe Bourseiller aux éditions de La Martinière, préfacé par Jacques-Marie Bardintzeff. Sont rassemblées de magnifiques photos prises aux quatre coins du monde. Pour un récit plus poignant, Pline le Jeune décrit dans deux lettres adressées au sénateur romain Tacite l’éruption du Vésuve qui ravagea Pompéi en 79 ap. J.-C. Ces lettres constituent un récit très émouvant et d’autant plus frappant qu’elles ont été écrites par un témoin direct de la catastrophe. Enfin, même si ce n’est pas un livre, je recommande le film de Werner Herzog Au cœur des volcans, Requiem pour Katia et Maurice Krafft qui saisit selon moi à merveille la tension et le sublime liés au volcan.
Aussi loin que mes souvenirs remontent, j’ai toujours été fasciné par les forces colossales qui régissent notre univers et notre planète. Le ciel étoilé et ses trous noirs. Une chaîne de montagnes qui constituait il y a des dizaines de millions d’années le plancher de la mer. Un tremblement de terre. En approchant de ces objets gigantesques, même par la pensée, je ressens un vertige face à une immensité et une puissance démesurée. Les volcans font partie de ces lieux privilégiés, d’autant plus que certains sont « facilement » accessibles : on peut littéralement toucher du doigt la démesure. Je me souviens avoir un jour pris conscience qu’un volcan constituait une porte brièvement ouverte sur le cœur bouillonnant de notre planète et qu’il était possible d’y jeter un regard. Pour ne rien gâcher, les volcans sont souvent orfèvres de paysages exceptionnels où se mêlent le feu et l’eau. Je crois que c’est cette violence de la nature qui m’a mis en mouvement. D’ailleurs dans mon texte, une expression revient à plusieurs reprises : crainte et fascination.
Quel aspect de votre voyage à Catane vous a le plus marqué ?
Sans hésitation, la présence constante de l’Etna dans chaque recoin de la ville, à chaque instant. Qu’on arrive en bus, en train ou en avion, on est immédiatement soumis à la masse écrasante du volcan. Une fois en ville, même quand le corps puissant de la montagne n’est plus en vue, les stigmates des éruptions précédentes sont partout. Le pavement des rues. Les fondations des palais et des immeubles. Un jour, j’ai eu la chance de dîner avec mes compagnons d’expédition dans un restaurant dont la salle est aménagée dans une grotte de lave, au fond de laquelle coule une rivière souterraine. Ce soir-là, je suis entré dans le volcan. Plus tard, en visitant un ancien monastère, je me suis retrouvé au pied d’une muraille noire au sommet de laquelle était juchée une enfilade de maisons : là s’était arrêté la tristement célèbre coulée de lave de 1669. C’est en m’imprégnant de cette atmosphère que m’est apparue la question d’un lien entre cette nature violente et le tempérament chaud des Catanais. Mon livre propose plusieurs éléments de réponse.
En tant que scientifique, en quoi l’approche mythologique complète-t-elle la perception que vous avez des volcans ?
L’expédition qui nous a conduits au sommet m’a fait comprendre que l’approche mythologique et l’approche scientifique moderne sont deux tentatives d’intégrer la démesure violente de la nature dans notre conception du monde. Les poèmes antiques représentent donc pour moi un autre langage. Je reçois désormais les textes mythologiques comme un précieux témoignage de la perception que pouvaient avoir les femmes et les hommes qui vivaient sur place durant l’Antiquité, et même avant ! L’écriture de mon récit m’a fait arriver à une nouvelle hypothèse, selon laquelle l’approche scientifique et l’approche mythologique jouent un rôle commun : participer à sensibiliser les populations locales aux risques naturels de leur environnement et ainsi contribuer à leur préservation.
Parlez-nous de la relation de l’être humain au volcan telle qu’elle s’exprime en Sicile.
Au cours de mes séjours à Catane, j’ai constaté que beaucoup de Siciliens vivent avec une certaine désinvolture vis-à-vis du volcan. Ils ont appris à vivre avec. Un peu comme à Naples d’ailleurs. Je comprends que cela vient du fait qu’il peut s’écouler de longues périodes de temps entre deux éruptions majeures, et que les habitants doivent quotidiennement davantage faire face à des désagréments qu’à des dégâts majeurs voire des morts (fermeture temporaire de l’aéroport, pluie de cendres ou de scories sur l’agglomération). En faisant les comptes, l’Etna apparaît d’ailleurs plutôt bénéfique, en attirant les touristes. Plusieurs témoignages m’ont de surcroît laissé entendre qu’au final, c’est lui, l’Etna, qui décide ; et de là découle une certaine tranquillité. En revanche, j’ai senti que beaucoup tirent une fierté d’appartenir à cette terre, d’avoir leurs racines plongées dans cette roche noire. Cette fierté atteint son paroxysme en février, lors des célébrations annuelles de Sant’Agatha, pendant lesquelles les processions et célébrations se succèdent dans les rues.
Quel récit sur les volcans (ou sur la Sicile) nous conseillez-vous ?
Lors d’un de mes séjours en Sicile, j’ai lu avec grand plaisir la fresque historique dépeinte dans Le Guépard, où Giuseppe Tomasi di Lampedusa nous fait vivre l’annexion de la Sicile par l’Italie en 1860. Ce livre, adapté au cinéma par Visconti en 1963, permet de saisir une partie de l’histoire moderne de l’île et de son statut si spécial. Pour ce qui est des volcans, j’ai beaucoup apprécié voyager avec le beau livre La Terre en feu, de Philippe Bourseiller aux éditions de La Martinière, préfacé par Jacques-Marie Bardintzeff. Sont rassemblées de magnifiques photos prises aux quatre coins du monde. Pour un récit plus poignant, Pline le Jeune décrit dans deux lettres adressées au sénateur romain Tacite l’éruption du Vésuve qui ravagea Pompéi en 79 ap. J.-C. Ces lettres constituent un récit très émouvant et d’autant plus frappant qu’elles ont été écrites par un témoin direct de la catastrophe. Enfin, même si ce n’est pas un livre, je recommande le film de Werner Herzog Au cœur des volcans, Requiem pour Katia et Maurice Krafft qui saisit selon moi à merveille la tension et le sublime liés au volcan.