Interviews


Devant le massif de la Chartreuse depuis celui de Belledonne – Isère (France)
Année 2020
© Édouard Meyer

Robin Boclet-Weller – Robin des bois
propos recueillis par Agnès Guillemot

Archives des interviews

Comment en êtes-vous venu à apprendre les techniques de survie ?
C’est à la suite d’une situation de survie réelle en Mongolie, en 2007, que j’ai pris conscience que j’avais besoin de me former professionnellement. Ma femme et moi avions l’habitude de la grande randonnée sauvage et avions déjà bien baroudé dans les Alpes et les Pyrénées. Mais quand nous avons cru mourir de soif, nous nous sommes rendu compte que même de jeunes sportifs en bonne santé et habitués au trek peuvent se faire surprendre dans un milieu inconnu. Organiser une excursion dans un pays où les secours ne sont jamais loin n’est pas la même histoire que guider une expédition dans un pays où il faut se débrouiller seul… C’est donc mû par la nécessité que j’ai commencé à me former. Puis l’expérience m’ayant beaucoup plu, l’envie a pris le dessus et j’ai donc continué à apprendre, bien au-delà des techniques de bases recommandées.

Auprès de qui vous êtes-vous formé ?
J’ai débuté par le traditionnel PSC1 dispensé par la Croix-Rouge et la Protection civile, puis je me suis formé à l’évacuation en milieu naturel avec la SOLO School américaine. On y apprend à gérer des blessés, non plus dans l’attente des secours qui doivent arriver dans l’heure, mais pour préparer le travail d’équipes qui peuvent mettre deux à trois jours à arriver, ainsi qu’à planifier une évacuation vers la civilisation. J’ai enfin pris des cours auprès de l’Institut de recherche et de formation en médecine de montagne à Chamonix. Cette formation théorique et pratique a été complétée en accompagnant des amis sur le terrain – Kancha dans les jungles du pays gurung au Népal, Iho dans celles de l’Arunachal Pradesh – et avec les ethnies locales, partout où je voyageais : les Khasi du Meghalaya, les Hadzabe en Tanzanie, les Embera au Panamá, avec les Mongols dans la steppe, auprès des pêcheurs dans la mer de Sulu..

Que retirez-vous de ces enseignements d’un point de vue personnel et par rapport aux enjeux écologiques ?
J’ai compris avec les années qu’il n’y a pas de milieu hostile. Ceux qui vivent dans ces endroits en ont la connaissance et, avec la pratique et de la patience, on peut apprendre à survivre dans n’importe quel environnement : il y a toujours des matériaux, des plantes, des animaux qui nous aident à prendre soin de notre santé et de notre sécurité, même dans les endroits les plus reculés du globe. J’ai aussi appris que l’humilité est toujours nécessaire et qu’il faut éviter de foncer tête baissée. Prendre son temps, observer, étudier les techniques primitives, tout cela est bien plus utile qu’un sac rempli de gadgets et une forme physique olympique. Durant des centaines de milliers d’années, nous avons vécu avec peu de technologies ; on peut donc faire de même aujourd’hui, grâce à la force d’un groupe solidaire, une bonne connaissance du milieu et des techniques ancestrales. Bien sûr, la science nous aide à redécouvrir et partager ces savoirs – je ne rêve pas de revenir à l’heure des bougies et de la traction animale –, mais vivre quelque temps selon ces modalités aide à faire face à bien des difficultés. Aujourd’hui, au-delà des stages que j’organise pour enseigner les techniques de survie, j’essaie surtout de donner envie aux gens de passer plus de temps en pleine nature, et de les conduire à appréhender chaque écosystème comme un allié.

Parvenez-vous à saisir pourquoi la survie est devenue un sujet important aujourd’hui ?
De tout temps, l’humanité a craint la fin du monde. Aujourd’hui, face aux dommages subis par l’environnement et à l’exploitation galopante des ressources, un plus grand nombre de personnes prend conscience que, sans milieu naturel, nos jours sont comptés. Nous avons, en tant qu’espèce, un besoin vital d’air, d’eau, de plantes... Sans nature, notre santé est en péril et à terme la survie de l’espèce elle-même est en danger. Je fais cependant partie de ces idéalistes qui pensent que la civilisation est en train de changer, que la prise de conscience collective peut nous sortir de cette mauvaise ornière dans laquelle nous sommes tombés il y a bientôt deux siècles.

Le meilleur conseil qu’on vous ait donné en matière de survie, et que vous donneriez en retour ?
Paradoxalement, ce n’est pas un instructeur de survie mais un professeur de méditation qui m’a donné un précieux conseil : « Ce que tu penses être un échec est parfois le signe d’un succès progressif. » Doté d’un tempérament déterminé, tenace, j’ai parfois eu tendance à m’obstiner. Or, dans bien des situations de survie, le lâcher-prise est plus important que le courage : observer les conditions dans lesquelles on se trouve, à la fois physiquement et psychologiquement, faire demi-tour, arrêter d’avancer, changer de méthode, rien n’est à laisser de côté quand il s’agit de survivre. Pour prolonger la réflexion sur la question de notre relation à la nature, je recommanderais, quant à moi, lecture de Pathways to Bliss et Goddesses de Joseph Campbell (non traduits) ; pour ceux qui aiment voyager depuis leur fauteuil, je citerais le très riche Kim ou L’homme qui voulut être roi de Rudyard Kipling ; enfin sur l’expérience de la survie, la terrible nouvelle Construire un feu de Jack London. Aux cinéphiles je conseillerais le fameux Dersou Ouzala d’Akira Kurosawa, adapté du magnifique livre de Vladimir Arseniev, ou encore Les dieux sont tombés sur la tête, de Jamie Uys. Et, bien sûr, pour leurs leçons de survie, la série Alone (commencée en 2015 et qui en est à sa huitième saison), le très intense All is lost, film de J. C. Chandor, ou encore Jeremiah Johnson, de Sydney Pollack.
© Transboréal : tous droits réservés, 2006-2024. Mentions légales.
Ce site, constamment enrichi par Émeric Fisset, développé par Pierre-Marie Aubertel,
a bénéficié du concours du Centre national du livre et du ministère de la Culture et de la Communication.