Interviews


Dijon (France)
Année 2009
© Clémentine Mouret

Anne Le Maître – Des voyages hauts en couleur
propos recueillis par Matthieu Delaunay

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Quel est le point de départ de votre vocation pour l’aquarelle en voyage ?
J’ai eu ma première boîte d’aquarelle à l’âge de 10 ans et je ne l’ai jamais vraiment refermée. La passion du voyage a mis du temps à rejoindre mon goût du dessin : il m’a fallu apprendre à vivre le chemin, à m’installer en lui. Sortir mon crayon à l’ombre d’un châtaignier ou dans un abribus, me semble maintenant aussi naturel qu’y manger, lire ou faire la sieste. Et je reste, encore aujourd’hui, surprise de l’évidence de cette rencontre.

Comment conciliez-vous votre métier avec la peinture ?
L’enseignement fut une première tentative pour me libérer du temps, que j’ai utilisé pour écrire et dessiner. Mais, après huit années passées à écrire la nuit et à dessiner entre 6 h 15 et 7 h 45 le matin, je travaille depuis peu à temps partiel. J’ai du coup été contrainte de refuser des propositions intéressantes, tout en ayant quand même un rythme de vie dense. Mais cela me permet de développer ce dont j’avais envie depuis longtemps : un atelier d’aquarelle pour adultes.

En quoi l’aquarelle est-elle séduisante en voyage ?
C’est tout bonnement une question de facilité, du fait de la préoccupation première du marcheur : le poids du sac ! Et puis, il y a la fluidité de la matière, des pigments, la capacité à entrer en résonance avec le paysage. Enfin, il y a l’absence totale de prétention, qui rend plus facile de sortir sa petite boîte métallique et son gobelet que de déployer un chevalet.

Une anecdote picturale vous a-t-elle particulièrement marquée ?
Je me souviens d’un matin d’été dans les bois bourguignons, au-dessus de Cluny : je suis partie à l’aube pour profiter de la fraîcheur et j’ai fait une pause dans une clairière. Alors que je dessinais en buvant un thé, j’ai entendu un jeune chevreuil qui, à quelques mètres de là, mâchonnait des feuilles de noisetier. J’ai commencé à le « croquer » en espérant qu’il ne me voie pas, mais j’ai fait tomber mon crayon et il a relevé la tête. Il m’a considéré, pensif, puis a continué à manger. L’aquarelle a la vertu d’ouvrir au monde alentour, de rendre perméable… c’est la seule fois de ma vie que j’ai pris mon petit-déjeuner en compagnie d’un chevreuil !

Quel auteur ou carnettiste suscite le plus en vous l’envie de voyager ?
Nicolas Bouvier, qui a capturé l’essence du voyage sans jamais tomber dans le piège du voyageur romantique, idéaliste, tout entiché de lui-même. Se laisser décaper humblement, voilà ce qu’il m’a appris. Je suis moins sensible à l’aspect pictural : pour moi, ce qui compte dans le dessin en voyage, c’est ce qu’il m’apporte au moment où je le fais, c’est la manière qu’il m’offre d’être au monde. Les carnets qui m’ont le plus marquée, qui me posent le plus de questions sont sans doute ceux réalisés dans des conditions extrêmes ; les poilus dans les tranchées, les déportés d’Auschwitz… ces gens n’ont plus rien, ils risquent la mort et pourtant ils dessinent !
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