Interviews


Riez-la-Romaine – Alpes-de-Haute-Provence (France)
Année 2016
© Siméon Baldit de Barral

Siméon Baldit de Barral – Arrêtez-vous au stop !
propos recueillis par Isaure Dehaye

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D’où vous vient votre goût pour le stop ?
L’auto-stop a toujours eu pour moi une saveur de liberté. Sortir des villes et des programmes minutés pour prendre le large ; étendre d’un coup ses perspectives à de vastes espaces, à une autre respiration du temps, plus ample, plus intense. J’ai pourtant découvert cette passion tardivement, à ma majorité, sur un amical défi. Puis j’y ai goûté à nouveau, sur des distances plus importantes, tant ce moyen me permettait de partir simplement vers l’inconnu. Quand je pars, je ne sais pas qui je vais rencontrer, dans quels lieux je vais faire escale, quels seront les temps d’attente… Par la suite, j’ai fait du stop seul, sur des milliers de kilomètres, en Europe ou en Amérique latine, tant cette multiplicité des rencontres me captivait… Imaginez être pris successivement par une mère de famille, un camionneur, un médecin de campagne, un cadre d’entreprise, ou d’autres affranchis de longue date de toute description sociale… Après quelques heures de trajet, l’intensité des dialogues et des découvertes est parfois si puissante que j’ai l’impression qu’une semaine s’est passée.

Quelle rencontre dans ce cadre vous a le plus marqué ?
Difficile de choisir parmi ces centaines de personnes de toutes spiritualités, de tous âges, aux passions et personnalités si variées ! Ce sont autant d’histoires fascinantes qui font maintenant partie de mon univers intérieur. Dans cette profusion, j’ai gardé le souvenir d’une famille chilienne qui m’embarqua dans les lacets de la cordillère des Andes. Leur minuscule voiture était déjà bondée mais qu’importe ! Plusieurs heures durant, dans ces paysages splendides, je jouais la nounou sur la banquette arrière du véhicule, discutant au passage des tensions et ponts culturels entre leur pays d’origine et leur terre d’accueil, l’Argentine. Je me retrouvais quelques jours plus tard chez eux, à Buenos Aires, invité à partager leur quotidien. Je découvrais alors une vision on ne peut plus intime de la ville, celle de l’habitant transcendant celle du touriste. J’ai aussi le souvenir marquant d’un producteur de rap allemand, vivant en Nouvelle-Zélande, à la tête d’un collectif cosmopolite d’artistes, prônant la musique comme langage international de paix. La discussion a été passionnante. Pourtant, sans les heures d’attente qui l’ont précédé, jamais je ne l’aurais croisé…

Comment cette expérience transforme-t-elle votre vie quotidienne ?
Une autre rencontre sur le pouce m’a convaincu de partir faire un tour du monde, cette fois-ci à vélo, ce qui a radicalement transformé le cours de mon existence. J’ai appris à me laisser enseigner par le stop, à être particulièrement vigilant à ces hasards qui n’en sont pas tout à fait. Quand je prends la route ainsi, vulnérable et ouvert à toute éventualité, je me positionne volontairement sur le fil du rasoir, je sors de ma zone de confort pour aller volontairement au contact. Je ne maîtrise plus grand-chose, hormis quelques évidences basiques. Je suis au plus près de mes instincts, je ressens. Je suis alors en pleine disponibilité pour apprendre. Le stop est ma plus savoureuse reconnexion aux choses simples. J’oublie si souvent dans le quotidien les joies qui suivent l’attente, l’intensité d’une rencontre imprévue, l’écoute attentive, l’émerveillement de ce qui m’entoure, la confiance en ce qui va survenir… Pratiquer le stop, vivre toute l’amplitude émotionnelle de ces instants ancre dans mon corps ces réalités immanentes que l’installation dans un confort, une peur de l’autre si médiatiquement martelée ou une mauvaise expérience peuvent si vite estomper.

Pensez-vous que le dialogue citoyen et spontané que vous expérimentez en stop soit une des clés pour la construction d’une société meilleure ?
Le déclin de la biodiversité, les tensions croissantes, l’épuisement des ressources naturelles sont plusieurs indicateurs de l’imminence d’un effondrement sociétal. Le culte de la compétition forcenée et l’individualisme instaurés comme normes en sont d’importants facteurs. Expérimenter les richesses de l’interdépendance, de la rencontre incongrue, ou de l’imprévu me semble alors salutaire. Écoute de l’autre, découverte de la diversité, reprise de confiance en soi, alternance entre le contrôle et le lâcher-prise. Il y a dans l’art de la discussion sur le pouce un terreau fertile à l’émergence de nouveaux imaginaires. Je sens d’ailleurs chez mes conducteurs une vraie joie à être ainsi en lien, à pouvoir se livrer, discuter sans peur avec un inconnu. Je vois aussi dans les regards amusés voire encourageants des automobilistes qui ne peuvent pas me prendre une vraie surprise de me voir là, en bord de route, à attendre, sourire aux lèvres. Ils semblent heureux de découvrir que cette folie humaine existe encore, qu’il y a toujours une place pour la spontanéité et l’extraordinaire…

Quelles lectures recommandez-vous pour soigner l’imaginaire que vous dites « malade » ?
Ces derniers temps, j’ai beaucoup apprécié La Horde du contrevent d’Alain Damasio. Par une fiction ambitieuse, quête extrême aux ressorts proches de nos réalités, il nous invite à penser autrement nos devenirs. Une autre fin du monde est possible de Gauthier Chapelle, Pablo Servigne et Raphaël Stevens nous interpelle sur les stratégies à élaborer pour les décennies futures. Dans Va vers toi, Annick de Souzenelle nous propose une approche spirituelle de nos chemins de vie, qu’elle ancre dans les textes et mythes sacrés. De quoi s’ouvrir de nouveaux possibles… Et dans un registre plus léger, pour une première immersion en images dans l’atmosphère du stop sur les routes françaises, la BD La France sur le pouce de Courtois et Phicil est une petite merveille, pleine d’humour.
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