Interviews


Kepong (Malaisie)
Année 2017
© Ferlynda Faisal

Éric Olmedo – Malaisie d’amour
propos recueillis par Solange d’Alançon

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Vous avez écrit à deux reprises sur la Malaisie, pourquoi ce pays ?
Mon ami Tangi Calvez et moi avons écrit sur la Malaisie d’abord parce que nous y vivions – Tangi a vogué depuis vers de nouvelles aventures. Ensuite, il s’agissait de rendre hommage à ce beau pays en faisant, cette fois-ci, un livre en français à destination d’un large public. Tous les voyageurs ou même les résidents n’ont pas forcément envie de se plonger dans un livre d’histoire en anglais, surtout à caractère académique. La Malaisie reste relativement méconnue : à l’écart de l’ancienne Indochine, elle n’inspire aucune nostalgie romantique ; elle n’a pas les atours séducteurs de la Thaïlande ni la vibration commerciale de Singapour… Il était temps de soulever le voile.

Votre livre Sept sultans et un rajah retrace l’histoire de ce pays. Quelle période avez-vous eu le plus à cœur d’étudier ?
Probablement le sultanat de Melaka au XVe siècle. Ce qui nous a fasciné, c’est la manière dont s’est façonnée cette « civilisation entrepôt ». La ville de Melaka était une cité marchande dotée d’énormes entrepôts à la technologie avancée. Les marchands de Java, Sumatra, Coromandel, Fujian et Canton, des Célèbes et des Moluques y stockaient leurs biens pendant la mousson. Le petit village de pêcheurs de Melaka est ainsi devenu, à la suite de l’arrivée d’un prince de Sumatra en exil, une cité-État de 100 000 habitants qui avait « la main sur la gorge de Venise » avant la venue d’Albuquerque. Melaka avait conçu des lois maritimes et commerciales sophistiquées et mis au point une gestion portuaire pragmatique intégrant la diversité. Fait extrêmement rare, la cité jouissait de quatre chefs de port et chacun d’eux était affecté à gérer les communautés de clients avec lesquelles ils étaient culturellement compatibles.

La gastronomie malaisienne vous passionne…
Sept sultans et un rajah est un ouvrage d’histoire culturelle. La culture se manifeste magnifiquement dans les arts, la littérature, les lois même… mais c’est en s’exprimant dans la cuisine qu’elle me touche le plus. Claude Lévi-Strauss avait reconstitué la cosmologie d’une tribu amazonienne rien qu’en les observant préparer et consommer leur repas. En anthropologie, l’alimentation est un « fait social total » : si vous analysez le système culinaire d’un pays, vous serez amené à fouiller son histoire, ses réseaux marchands, ses vagues de migrations, ses politiques publiques, son système économique, ses frontières religieuses ou ethniques et enfin ses espaces sociaux d’intégration et de différenciation. En bref, dans la cuisine vous percevrez l’âme d’un pays.

Selon vous, de quel aspect de cette culture les Français pourraient-ils s’inspirer ?
Probablement des modalités du vivre-ensemble malaisien. La Malaisie n’a pas connu de conflit social violent depuis 1969. Le modèle du vivre-ensemble malaisien – même s’il s’alourdit d’une volonté de discrimination positive – se fonde sur le précepte de l’accommodation, et non pas de l’assimilation. C’est la société d’accueil dite des « fils du sol » (essentiellement les Malais) qui organise la nomenclature de la différence sociale, mais la porte reste ouverte à la négociation entre les gens au pouvoir et les différentes communautés. C’est cet espace de négociation, constamment entretenu, ainsi que l’héritage collectif pragmatique et paisible logé dans l’ADN malaisien depuis le sultanat de Melaka, qui constituent à mon avis les clés du succès.

Un auteur malaisien vous inspire-t-il ?
Anwar Ridhwan, notamment par son roman L’Autre Rive. L’âme de la Malaisie ne se trouvant pas dans les tours jumelles de Kuala Lumpur mais dans la jungle de la péninsule, Anwar Ridhwan raconte les arcanes de la vie d’un village malais en mêlant poésie, tendresse, mysticisme quotidien, avec toutefois un sens de l’épure très asiatique. Un livre aussi serein qu’éblouissant.
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