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La route du thé, du Yunnan au Tibet
par Philippe Devouassoux & Julie Klein
le jeudi 18 novembre 2010 à 20 heures 30


Depuis des millénaires, un ancien itinéraire créé par le pas lent des hommes et des chevaux relie les plaines fertiles tropicales du sud de la Chine au haut plateau tibétain. Le long de cette route, parfois fort escarpée, le thé pénétrait au Tibet. Cet ancien itinéraire commercial est appelé Cha Ma Gu Dao, c’est-à-dire « route du thé et des chevaux ». La légende raconte qu’en l’an 641, lorsque la princesse chinoise Wen Cheng épousa le roi tibétain Songstan Gambo, elle emporta dans ses bagages du thé. La princesse apprit aux Tibétains l’art et la manière de le préparer et de le déguster. Ces derniers découvrirent alors les effets bénéfiques du thé pour la digestion et l’élimination des graisses dues à une alimentation trop protéinée. La consommation de thé se répandit rapidement au sein des peuples des hauts plateaux. La demande augmenta et des caravanes se lancèrent sur les périlleux sentiers des marches de l’empire du Milieu. À cette période, les chevaux étaient essentiels aux guerres et les meilleurs provenaient du Tibet. Ainsi, tandis que les Tibétains cherchaient à se fournir en thé, la Chine avait besoin de chevaux pour asseoir sa force militaire. La dynastie des Tang (618-907) instaura alors un monopole gouvernemental sur la plantation, la culture et la vente du thé : la totalité de la filière passa sous la férule des empereurs au pouvoir. Ce monopole permettait d’assurer l’acquisition régulière de chevaux en échange de thé. Ainsi naquit la route du thé et des chevaux.
Les dynasties se succédèrent et conservèrent ce formidable et puissant outil de contrôle que représentait le thé. D’une part, les montures exceptionnelles échangées contre les précieuses feuilles facilitaient les conquêtes et aidaient à contenir les différents envahisseurs. D’autre part, le monopole sur le commerce du thé permettait de maîtriser et de dominer les peuples des confins de l’Empire. La vente de thé aux régions frontalières sans autorisation était punie de mort. À la fin du règne des Song (1127-1279), l’échange de 100 000 tonnes de thé permettait chaque année au gouvernement d’acquérir 10 000 à 20 000 chevaux. Le monopole gouvernemental sur le thé dura jusqu’en 1949, à la victoire des communistes. Cette année-là, le contrôle des régions frontalières par le thé cessa. Parallèlement, dans les années 1950, la construction d’autoroutes mit fin à la route du thé et des chevaux. Il y a soixante ans à peine, des hommes effectuaient encore le voyage à pied, bravant les dangers, escaladant les montagnes, et traversant les rivières sur de frêles ponts, parcourant plus de 7 000 km aller et retour.
Aujourd’hui, cette route tombe peu à peu dans l’oubli. Elle ne bénéficie pas de la popularité de la route de la soie, malgré son importance équivalente dans le développement de l’Empire chinois. Cette voie d’échange et les contrées qu’elle traverse concentrent une soixantaine d’ethnies, aussi est-elle riche d’une des diversités culturelles les plus importantes de la Chine.


De janvier à juin 2009, Philippe Devouassoux et Julie Klein ont réalisé le projet OTHER, acronyme de Old Tea & Horses Exchange Road, né de la volonté d’éprouver la rude vie des caravaniers qui échangèrent pendant plus de quinze siècles le thé du Yunnan contre les chevaux tibétains nécessaires à la Chine pour ses conquêtes. Pendant 2 500 km et quelque six mois de marche, ils se sont déplacés, ont mangé et dormi comme les habitants de l’Himalaya. Des rizières et plantations de thé aux étendues sauvages et glacées du plateau tibétain, le couple a marché en autonomie à travers une grande diversité de paysages et de climats, de la forêt tropicale luxuriante jusqu’au Toit du monde, via des cols à plus de 4 800 m d’altitude. Il a cheminé au plus près des étapes et des sentiers historiques, pour appréhender la mixité humaine, culturelle, religieuse et linguistique à l’origine de la Chine moderne.



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