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Chine : à cheval des monts Célestes au plateau tibétain
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le jeudi 15 avril 2010 à 20 heures 30


L’immense territoire qu’occupe aujourd’hui la Chine est le fruit d’une expansion récente. Le Xinjiang et le plateau tibétain ont intégré tardivement son territoire et s’accommodent non sans heurts de sa politique de croissance et de modernisation. Espaces désertiques ou montagnards caractérisés par de faibles densités humaines, ils constituent aux yeux des Han des marges à exploiter.
Le Xinjiang, « nouvelle frontière » en chinois, jouxte huit pays (Mongolie, Russie, Kazakhstan, Tadjikistan, Kirghizistan, Afghanistan, Pakistan et Inde). Les monts Célestes y séparent la dépression dzoungare, au nord, du bassin désertique du Tarim, au sud. Seuil de l’Asie centrale, le Xinjiang fut disputé durant des siècles par la Chine à ses occupants et incorporé en 1759 seulement.
« Les invasions qui l’ont balayé de façon presque continue – en dernier lieu l’invasion mongole – font de sa population un sable mouvant, où chaque vague à peine formée s’est vue recouverte par une autre de sa civilisation, une mosaïque barbare où le raffinement extrême de l’Occident côtoie la sauvagerie des nomades. » Cette phrase tirée du Rivage des Syrtes de Julien Gracq fait étrangement écho à ce que fut le peuplement du Xinjiang. Traversé par des tronçons de la route de la soie, le Turkestan chinois a toujours été un carrefour favorisant le mélange des populations, notamment turques et mongoles. L’ethnie ouighoure, de confession musulmane, a longtemps dominé les oasis (Turfan, Khotan…) où faisaient étape les caravanes, cohabitant avec les Kazakhs, Mongols, Kirghizes et Tadjiks.
Le plateau tibétain est aujourd’hui morcelé en cinq régions administratives chinoises. Le « Grand Tibet », revendiqué par les Tibétains en exil, ne se résume pas à la seule région dite « autonome » du Tibet. Il comprend aussi l’intégralité du plateau et notamment les régions du Kham et de l’Amdo, cœur historique régional. Le Tibet est annexé par la Chine en 1959 après dix ans de révoltes, sous couvert de lutte contre le féodalisme et le servage. Les revendications d’indépendance sont réprimées et une politique de réforme à grande vitesse est lancée par le Parti. Les ressources naturelles et la situation géographique du « toit du monde » en font un espace stratégique : une partie de ce territoire est considérée comme une des dernières terres vierges de la planète. Les hauteurs tibétaines frappent par leur diversité : steppes glacées, hauteurs désertiques du U-Tsang, forêts tropicales du Yunnan, prés alpins du Sichuan. C’est également là que naissent les grands fleuves d’Asie, dont le Gange, le fleuve Jaune, le Yang-Tseu-Kiang et l’Indus. Le Tibet ne cesse de fasciner, auréolé dans l’imaginaire occidental par un halo de spiritualité, vénéré par les voyageurs pour l’inaccessibilité de ses confins, élevé au rang de terre martyre par les défenseurs de sa cause.
Depuis dix ans, l’État chinois poursuit la conquête de ces territoires à coup d’énormes investissements et au mépris des habitants. Il s’agit d’accélérer le développement des voies de communication, de l’industrie, notamment minière au Tibet et pétrolière au Xinjiang, et d’accroître la densité humaine par le biais d’une émigration massive de Han. En 2008, les émeutes au Xinjiang et les soubresauts de révolte au Tibet ainsi que les tensions ethniques sont les résultantes les plus notables de cette politique coloniale. Érigé « priorité nationale » en 1999 et initié par Jiang Zeming en personne, le développement de ces régions prend des airs de conquête du Far West. Industrie, tourisme, migrations, tout est bon pour accélérer la croissance et le contrôle d’une région en proie à de brutales métamorphoses. Urumqi, l’énorme capitale du Xinjiang, jaillie entre montagnes et désert, là où les nomades kazakhs menaient leurs troupeaux, incarne ces bouleversements. Le vieux quartier ouighour étouffe au cœur des buildings hideux. Plus au sud, Lhassa, pris d’assaut par des touristes en majorité chinois, venus en quarante-huit heures de Pékin par le train, a aussi perdu de sa culture et de son sacré. Négliger les enjeux énergétiques et stratégiques qui sous-tendent cette politique reviendrait à ignorer que les cultures non-han de l’Ouest chinois sont mises en péril.


Au milieu de l’hiver 2008, Clara Arnaud atterrit à Pékin, qui résonne du vacarme des démolitions : la Chine est un vaste chantier, celui des jeux Olympiques. Son objectif, volontairement imprécis, est de la traverser du nord au sud, accompagnée d’un cheval de bât. L’hiver s’écoule à l’université de X’ian où elle dévore les cartes des confins occidentaux du pays, s’initie au tai-chi et surtout améliore sa pratique de la langue. Avec la fonte des neiges au mois de mars, il est temps de se mettre en route : son périple commence dans le Xinjiang. Accompagnée d’un cheval acheté au bazar de Toksun, Clara Arnaud longe le désert du Taklamakan. L’accueil chaleureux des Kazakhs, Mongols et Ouighours contraste avec la suspicion de la police, qui la suit à la trace. L’étonnement se lit aussi sur le visage de ceux qui lui ouvrent leur porte et partagent thé, pain ou raisins secs, ceux qu’elle fait rire de ses mots malhabiles ou de ses singeries. Que vient faire ici une jeune fille de 21 ans, en âge de se marier, avec un cheval ? Ses parents sont-ils informés ? N’a-t-elle pas peur ? La question laisse la voyageuse impassible jusqu’à ce qu’elle soit dévalisée sous la menace d’un couteau : il lui faudra continuer de marcher la peur au ventre. La crainte, l’ennui, la fatigue, la faim, la lassitude et surtout la solitude sont autant d’obstacles à sa progression. Une seconde agression la décide à se diriger plus au sud, en bus.
Avec la complicité d’un moine tibétain, Clara Arnaud rejoint au mois de mai l’extrémité nord-est du plateau tibétain, en grande partie fermé aux étrangers depuis les troubles du mois de mars. Quand elle reprend son chemin avec deux petits chevaux, les Tibétains qu’elle croise lui recommandent de se méfier de l’armée. Mais à la présence policière du Xinjiang succède une grande solitude. Les villages sont espacés de cinq à six jours de chevauchée face au vent glacial. Les étapes sont harassantes à plus de 4 000 mètres d’altitude mais les rencontres sont salutaires : un cycliste chinois venu de Pékin pour défendre la cause tibétaine, un moine libéré après quinze années de prison, un cuisinier musulman fou de géographie, des cantonniers immigrés du Sud, quatre sœurs tibétaines au sourire solaire… autant de découvertes qui soulignent la complexité et la diversité de la région. L’été arrive : Clara Arnaud vit telle une bergère, transhumant de bivouac en bivouac, où elle se contente de vermicelle et de thé au beurre rance en se ravissant du hurlement des loups et du galop des antilopes.
Dans la verdoyante vallée de Yushu, la voyageuse se sépare de ses chevaux et continue sa route vers le sud, à pied et en bus. Elle laisse le vaste plateau, quadrillé par l’armée à l’aube des jeux Olympiques, et se dirige vers la Chine tropicale, de monastère en monastère. Les peuples yi, bai et naxi, qu’elle rencontre au terme de marches interminables dans la moiteur forestière, lui offrent un tableau différent de ce qu’elle a connu en altitude. Les buffles remplacent les yacks et le thé se boit sans beurre mais accompagné de nouilles pimentées. C’est à Hongkong, entre les buildings et les banques, que Clara Arnaud tire sa révérence à la Chine rurale. Elle se plonge alors dans le roman initiatique d’Hermann Hesse, Siddhartha, que lui a donné un professeur de philosophie rencontré dans un monastère du Sichuan, en méditant les mots qu’il lui a glissé dans un souffle : « N’oublie pas ce que tu as vu ».





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Livre de l’intervenante en rapport avec cette conférence :
Sur les chemins de Chine


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