Ă pied à  travers lâItalie
par François-Xavier de Villemagne
Italie, si proche, notre sĆ“ur jumelle ou plutĂŽt notre mĂšre tant notre civilisation sâ€est abreuvĂ©e Ă la louve mythique de Romulus et RĂ©mus. La France entretient depuis des siĂšcles avec sa voisine des rapports tissĂ©s de puissance, dâ€art et de foi. Soldats de CĂ©sar ou de Bonaparte, bĂątisseurs des thĂ©Ăątres antiques ou pĂšlerins, tous ont Ă©tĂ© des voyageurs qui ont sillonnĂ© la pĂ©ninsule italienne.
Une fois que les feux de la Rome impĂ©riale eurent Ă©tĂ© Ă©touffĂ©s par la splendeur de Byzance, lâ€Ă‰glise, progressivement affermie, draina des millions de pĂšlerins vers Rome ou vers Venise et les villes cĂŽtiĂšres des Pouilles qui Ă©taient autant de ports dâ€embarquement vers la Terre sainte.
Lâ€existence de voies « officielles » de pĂšlerinage (par exemple, la Via Francigena) relĂšve plus de la fiction que de lâ€exactitude historique car, en fait, chaque pĂšlerin partait de chez lui, allait Ă Rome et en revenait par lâ€itinĂ©raire le plus commode. Ainsi se dĂ©finirent des voies trĂšs frĂ©quentĂ©es et une myriade de parcours secondaires motivĂ©s par la curiositĂ© ou le dĂ©sir de ne pas nĂ©gliger la visite de telle ou telle relique insigne en marge du parcours. Il existe des vie Romee dans toutes les rĂ©gions et, dans chaque rĂ©gion, il y en a plusieurs.
Les pĂšlerins se dĂ©plaçaient le long de voies dĂ©jĂ tracĂ©es et nâ€en ont pas ouvert de nouvelles. Ils empruntaient les axes hĂ©ritĂ©s de lâ€Empire romain (ou ce quâ€il en restait), les routes secondaires et les chemins. Au Moyen Ăge, cependant, les voies romaines manquaient dâ€entretien, les pavĂ©s Ă©taient enfouis ou arrachĂ©s, les ponts Ă©croulĂ©s. Les fleuves devinrent des obstacles dangereux et infranchissables pour des gens qui, le plus souvent, ne savaient pas nager. Ils imposaient de longs dĂ©tours pour trouver des guĂ©s. Câ€est pourquoi, par exemple, passer par Pavie, oĂč se trouvait un pont de barques, Ă©tait presque inĂ©vitable.
En dĂ©pit des rĂ©serves indiquĂ©es sur lâ€unicitĂ© supposĂ©e des chemins vers Rome, de grands itinĂ©raires se dĂ©tachent, drainant les pĂšlerins en fonction de leur lieu de dĂ©part et de la commoditĂ© des voies utilisĂ©es. Lâ€axe idĂ©al Saint-Jacques/Rome, avec ses nombreuses variantes, fut lâ€Ă©pine dorsale de lâ€Europe mĂ©diĂ©vale, Ă laquelle se sont ajoutĂ©es les principales routes de lâ€Europe du Nord et des pays slaves. Ainsi, on peut isoler de grands itinĂ©raires :
‹ La Via Francigena ;
‹ Les chemins entre Compostelle et Rome ;
‹ Les routes de lâ€Europe du Nord ;
‹ La route des Slaves.
En Italie, les grands itinéraires étaient ceux des Romains : la Via Appia (Rome/Naples), la Via Appia Traiana (Naples/Foggia/Brindisi), la Via Flaminia (Rimini/Rome), la Via Cassia (Rome/Cesena), la Via Aurelia vers la mer Tyrrhénienne, la Via Emilia (Plaisance/Rimini).
Se confondant au dĂ©but avec le pĂšlerinage puis sâ€en dĂ©gageant progressivement, le voyage dâ€Italie occupe une place particuliĂšre dans lâ€imaginaire europĂ©en. Lâ€efflorescence artistique de la Renaissance italienne a drainĂ© au-delĂ des Alpes et singuliĂšrement Ă Rome un grand nombre de curieux et dâ€amateurs dâ€art, des lettrĂ©s nourris de culture latine qui vivaient leur voyage comme des retrouvailles et un retour aux sources culturelles dont ils se sentaient issus. Dans le Grand Tour, ce pĂ©riple destinĂ© Ă parfaire lâ€Ă©ducation des jeunes Ă©lites europĂ©ennes du XIXe siĂšcle, lâ€Italie occupa une place prĂ©pondĂ©rante.
Arpenter aujourdâ€hui lâ€Italie Ă pied, câ€est vivre pendant plusieurs mois dans le voisinage et la familiaritĂ© des Anciens, cĂŽtoyer une Ă©blouissante richesse artistique dont lâ€histoire a lĂ©guĂ© le lourd hĂ©ritage aux Italiens dâ€aujourdâ€hui. Câ€est aussi dĂ©couvrir un pays qui nâ€est pas une nation et oĂč, Ă lâ€inverse de la France, on nâ€attend rien de lâ€Ă‰tat au lieu dâ€en attendre tout. Rencontrer des Italiens  ou pester contre ceux qui vous disent Via di qua ! – « Allez-vous en ailleurs  Et grimper, dĂ©valer, escalader, monter, descendre sans relĂąche au grĂ© des centaines de kilomĂštres de la chaĂźne des Apennins. DĂ©couvrir avec bonheur les joyaux touristiques mille fois cĂ©lĂ©brĂ©s de Toscane ou de Naples, mais aussi les trĂ©sors moins connus des Pouilles, du PiĂ©mont ou de la Basilicate. Voir aussi les rĂ©alitĂ©s moins flatteuses et donner une chair contemporaine au « rĂȘve italien ».
Pendant des annĂ©es, lâ€Italie ressembla pour François-Xavier de Villemagne Ă une chimĂšre. Lâ€italien, il lâ€a appris en lisant les livrets dâ€opĂ©ra, sur les marches du palais Garnier lorsque, Ă©tudiant fauchĂ©, il attendait des heures ou des nuits pour obtenir les places bon marchĂ© qui sâ€arrachaient deux semaines avant la reprĂ©sentation. Lâ€Italie, câ€Ă©tait un rĂȘve rythmĂ© par les arias Rossini, Bellini, Verdi, Puccini, un rĂȘve qui court du pont du Garigliano aux sĂ©rĂ©nades napolitaines, du chĂąteau Saint-Ange oĂč se joue le drame de la Tosca de Puccini Ă Fiesole oĂč se sont retranchĂ©s les conteurs du DĂ©camĂ©ron de Boccace pour fuir la peste de Florence, des flancs du VĂ©suve oĂč sâ€est rĂ©fugiĂ© Spartacus Ă la douce lumiĂšre de Toscane, des ruines de PompĂ©i aux amours romantiques de la Graziella de Lamartine. Rome, Naples et Florence, avait rĂ©sumĂ© Stendhal. Rome, le SiĂšge de Pierre, tĂȘte de lâ€Ă‰glise. Rome oĂč il nâ€Ă©tait jamais allĂ©.
La dĂ©couverte de lâ€AntiquitĂ© in situ, les trĂ©sors artistiques et la poĂ©sie des ruines exaltĂ©e par Goethe, Chateaubriand et leurs successeurs, la nĂ©cessitĂ© dâ€achever le Grand Tour comme on pouvait « faire ses humanitĂ©s », voilĂ aussi ce qui lâ€attirait vers ce pays troussĂ© comme une botte de spadassin.
Lorsque, affranchi pour quelque temps des servitudes de la vie salariĂ©e, il a pu disposer de quelques mois, il a eu envie de dĂ©couvrir enfin ce pays tant rĂȘvĂ© et, comme il sâ€Ă©tait rendu Ă JĂ©rusalem Ă pied sept annĂ©es auparavant, il sâ€est dit : « À Rome, je ne veux aller autrement quâ€Ă pied  »
La route la plus directe lui aurait fait franchir le col du Grand-Saint-Bernard. Environ 1 500 kilomĂštres jusquâ€Ă Rome. Sur une carte dâ€Europe, le trajet ressemble Ă un segment de droite, dĂ©sespĂ©rĂ©ment efficace et trop court. Sâ€il avait voulu, il sâ€en serait tirĂ© en deux mois de marche. Sâ€il nâ€Ă©tait question que dâ€arriver, il pouvait aussi atterrir Ă Rome moins de deux heures aprĂšs avoir dĂ©collĂ© dâ€Orly. Mais le but nâ€Ă©tait ni de « sâ€en tirer » le plus vite possible, ni de « faire Rome » comme dâ€autres font le tour du monde en quatre-vingts jours. Ă€ quoi bon rĂ©trĂ©cir le monde ? Notre voyageur avait besoin que les merveilles soient lointaines et difficiles Ă atteindre.
Alors il a arpentĂ© cette Italie en prenant son temps sur des voies buissonniĂšres et en dessinant une boucle jusquâ€Ă lâ€extrĂȘme-sud du pays avant de rejoindre la Ville Ă©ternelle et la basilique Saint-Pierre, but du pĂšlerinage Ă la tombe de lâ€ApĂŽtre. Un voyage de six mois et 4 000 kilomĂštres, de Paris Ă Rome, des glaciers du Cervin aux oliveraies des Pouilles, de Florence et des hauts lieux de la Toscane Ă Naples et Ă la terre Ăąpre de la Basilicate, nourri de rencontres et de la dĂ©couverte dâ€une Italie mĂ©connue.
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de l’intervenant en rapport avec cette conférence :
PĂšlerin d’Occident, À pied jusqu’à Rome
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