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À pied à travers l’Italie
par François-Xavier de Villemagne
le jeudi 29 janvier 2009 à 20 heures 30


Italie, si proche, notre sĆ“ur jumelle ou plutĂŽt notre mĂšre tant notre civilisation s’est abreuvĂ©e Ă  la louve mythique de Romulus et RĂ©mus. La France entretient depuis des siĂšcles avec sa voisine des rapports tissĂ©s de puissance, d’art et de foi. Soldats de CĂ©sar ou de Bonaparte, bĂątisseurs des thĂ©Ăątres antiques ou pĂšlerins, tous ont Ă©tĂ© des voyageurs qui ont sillonnĂ© la pĂ©ninsule italienne.
Une fois que les feux de la Rome impĂ©riale eurent Ă©tĂ© Ă©touffĂ©s par la splendeur de Byzance, l’Église, progressivement affermie, draina des millions de pĂšlerins vers Rome ou vers Venise et les villes cĂŽtiĂšres des Pouilles qui Ă©taient autant de ports d’embarquement vers la Terre sainte.
L’existence de voies « officielles » de pĂšlerinage (par exemple, la Via Francigena) relĂšve plus de la fiction que de l’exactitude historique car, en fait, chaque pĂšlerin partait de chez lui, allait Ă  Rome et en revenait par l’itinĂ©raire le plus commode. Ainsi se dĂ©finirent des voies trĂšs frĂ©quentĂ©es et une myriade de parcours secondaires motivĂ©s par la curiositĂ© ou le dĂ©sir de ne pas nĂ©gliger la visite de telle ou telle relique insigne en marge du parcours. Il existe des vie Romee dans toutes les rĂ©gions et, dans chaque rĂ©gion, il y en a plusieurs.
Les pĂšlerins se dĂ©plaçaient le long de voies dĂ©jĂ  tracĂ©es et n’en ont pas ouvert de nouvelles. Ils empruntaient les axes hĂ©ritĂ©s de l’Empire romain (ou ce qu’il en restait), les routes secondaires et les chemins. Au Moyen Âge, cependant, les voies romaines manquaient d’entretien, les pavĂ©s Ă©taient enfouis ou arrachĂ©s, les ponts Ă©croulĂ©s. Les fleuves devinrent des obstacles dangereux et infranchissables pour des gens qui, le plus souvent, ne savaient pas nager. Ils imposaient de longs dĂ©tours pour trouver des guĂ©s. C’est pourquoi, par exemple, passer par Pavie, oĂč se trouvait un pont de barques, Ă©tait presque inĂ©vitable.
En dĂ©pit des rĂ©serves indiquĂ©es sur l’unicitĂ© supposĂ©e des chemins vers Rome, de grands itinĂ©raires se dĂ©tachent, drainant les pĂšlerins en fonction de leur lieu de dĂ©part et de la commoditĂ© des voies utilisĂ©es. L’axe idĂ©al Saint-Jacques/Rome, avec ses nombreuses variantes, fut l’épine dorsale de l’Europe mĂ©diĂ©vale, Ă  laquelle se sont ajoutĂ©es les principales routes de l’Europe du Nord et des pays slaves. Ainsi, on peut isoler de grands itinĂ©raires :
‹ La Via Francigena ;
‹ Les chemins entre Compostelle et Rome ;
‹ Les routes de l’Europe du Nord ;
‹ La route des Slaves.
En Italie, les grands itinéraires étaient ceux des Romains : la Via Appia (Rome/Naples), la Via Appia Traiana (Naples/Foggia/Brindisi), la Via Flaminia (Rimini/Rome), la Via Cassia (Rome/Cesena), la Via Aurelia vers la mer Tyrrhénienne, la Via Emilia (Plaisance/Rimini).
Se confondant au dĂ©but avec le pĂšlerinage puis s’en dĂ©gageant progressivement, le voyage d’Italie occupe une place particuliĂšre dans l’imaginaire europĂ©en. L’efflorescence artistique de la Renaissance italienne a drainĂ© au-delĂ  des Alpes et singuliĂšrement Ă  Rome un grand nombre de curieux et d’amateurs d’art, des lettrĂ©s nourris de culture latine qui vivaient leur voyage comme des retrouvailles et un retour aux sources culturelles dont ils se sentaient issus. Dans le Grand Tour, ce pĂ©riple destinĂ© Ă  parfaire l’éducation des jeunes Ă©lites europĂ©ennes du XIXe siĂšcle, l’Italie occupa une place prĂ©pondĂ©rante.
Arpenter aujourd’hui l’Italie Ă  pied, c’est vivre pendant plusieurs mois dans le voisinage et la familiaritĂ© des Anciens, cĂŽtoyer une Ă©blouissante richesse artistique dont l’histoire a lĂ©guĂ© le lourd hĂ©ritage aux Italiens d’aujourd’hui. C’est aussi dĂ©couvrir un pays qui n’est pas une nation et oĂč, Ă  l’inverse de la France, on n’attend rien de l’État au lieu d’en attendre tout. Rencontrer des Italiens  ou pester contre ceux qui vous disent Via di qua ! – « Allez-vous en ailleurs  Et grimper, dĂ©valer, escalader, monter, descendre sans relĂąche au grĂ© des centaines de kilomĂštres de la chaĂźne des Apennins. DĂ©couvrir avec bonheur les joyaux touristiques mille fois cĂ©lĂ©brĂ©s de Toscane ou de Naples, mais aussi les trĂ©sors moins connus des Pouilles, du PiĂ©mont ou de la Basilicate. Voir aussi les rĂ©alitĂ©s moins flatteuses et donner une chair contemporaine au « rĂȘve italien ».


Pendant des annĂ©es, l’Italie ressembla pour François-Xavier de Villemagne Ă  une chimĂšre. L’italien, il l’a appris en lisant les livrets d’opĂ©ra, sur les marches du palais Garnier lorsque, Ă©tudiant fauchĂ©, il attendait des heures ou des nuits pour obtenir les places bon marchĂ© qui s’arrachaient deux semaines avant la reprĂ©sentation. L’Italie, c’était un rĂȘve rythmĂ© par les arias Rossini, Bellini, Verdi, Puccini, un rĂȘve qui court du pont du Garigliano aux sĂ©rĂ©nades napolitaines, du chĂąteau Saint-Ange oĂč se joue le drame de la Tosca de Puccini Ă  Fiesole oĂč se sont retranchĂ©s les conteurs du DĂ©camĂ©ron de Boccace pour fuir la peste de Florence, des flancs du VĂ©suve oĂč s’est rĂ©fugiĂ© Spartacus Ă  la douce lumiĂšre de Toscane, des ruines de PompĂ©i aux amours romantiques de la Graziella de Lamartine. Rome, Naples et Florence, avait rĂ©sumĂ© Stendhal. Rome, le SiĂšge de Pierre, tĂȘte de l’Église. Rome oĂč il n’était jamais allĂ©.
La dĂ©couverte de l’AntiquitĂ© in situ, les trĂ©sors artistiques et la poĂ©sie des ruines exaltĂ©e par Goethe, Chateaubriand et leurs successeurs, la nĂ©cessitĂ© d’achever le Grand Tour comme on pouvait « faire ses humanitĂ©s », voilĂ  aussi ce qui l’attirait vers ce pays troussĂ© comme une botte de spadassin.
Lorsque, affranchi pour quelque temps des servitudes de la vie salariĂ©e, il a pu disposer de quelques mois, il a eu envie de dĂ©couvrir enfin ce pays tant rĂȘvĂ© et, comme il s’était rendu Ă  JĂ©rusalem Ă  pied sept annĂ©es auparavant, il s’est dit : « À Rome, je ne veux aller autrement qu’à pied  »
La route la plus directe lui aurait fait franchir le col du Grand-Saint-Bernard. Environ 1 500 kilomĂštres jusqu’à Rome. Sur une carte d’Europe, le trajet ressemble Ă  un segment de droite, dĂ©sespĂ©rĂ©ment efficace et trop court. S’il avait voulu, il s’en serait tirĂ© en deux mois de marche. S’il n’était question que d’arriver, il pouvait aussi atterrir Ă  Rome moins de deux heures aprĂšs avoir dĂ©collĂ© d’Orly. Mais le but n’était ni de « s’en tirer » le plus vite possible, ni de « faire Rome » comme d’autres font le tour du monde en quatre-vingts jours. Ă€ quoi bon rĂ©trĂ©cir le monde ? Notre voyageur avait besoin que les merveilles soient lointaines et difficiles Ă  atteindre.
Alors il a arpentĂ© cette Italie en prenant son temps sur des voies buissonniĂšres et en dessinant une boucle jusqu’à l’extrĂȘme-sud du pays avant de rejoindre la Ville Ă©ternelle et la basilique Saint-Pierre, but du pĂšlerinage Ă  la tombe de l’ApĂŽtre. Un voyage de six mois et 4 000 kilomĂštres, de Paris Ă  Rome, des glaciers du Cervin aux oliveraies des Pouilles, de Florence et des hauts lieux de la Toscane Ă  Naples et Ă  la terre Ăąpre de la Basilicate, nourri de rencontres et de la dĂ©couverte d’une Italie mĂ©connue.





En savoir davantage sur : François-Xavier de Villemagne 


de l’intervenant en rapport avec cette conférence :
PĂšlerin d’Occident, À pied jusqu’à Rome


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