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Portraits de femmes sibériennes
par Géraldine Bérard & Valérie François
le jeudi 4 décembre 2008 à 20 heures 30


Au XXe siècle, le statut des femmes en Russie subit de profonds bouleversements. La révolution bolchevique leur donne des droits étonnamment modernes. Dès 1917, loin devant les Européennes, les femmes russes obtiennent le droit de voter et d’être élues, le droit à l’avortement et au divorce, ainsi que l’accès à l’université. Elles ne dépendent plus, en théorie, de l’autorité de leur père ou de leur mari et ont « à travail égal, un salaire égal ». Cependant les infrastructures de l’époque ne permettent pas aux femmes de se libérer des contingences domestiques. Les salaires augmentent à peine et les mentalités évoluent lentement. Elles continuent donc de gérer le foyer, de s’occuper des enfants en héritant, de surcroît, de l’obligation d’avoir un travail, pour des raisons aussi bien idéologiques qu’économiques.
La situation de la population masculine n’est guère meilleure. Les événements tragiques du XXe siècle en Russie et les ravages de l’alcool la déciment à tel point qu’aujourd’hui, avec 10 millions de femmes de plus qu’eux, les hommes deviennent presque rares… Par ailleurs, les différentes politiques familiales les ont peu à peu dépossédés de leur rôle de père et de chef de famille. Ainsi s’explique en partie le nombre élevé de veuves et de mères célibataires, le taux de divorce incroyablement haut (83,7 % en 2002) et le taux de natalité dangereusement bas (9,8 ‰ en 2002). Des millions d’enfants russes ont du coup été élevés par des générations de mères célibataires, qui laissaient croire aux plus jeunes que la présence d’un homme au foyer n’était pas indispensable.
Cette réalité est plus criante encore dans l’Extrême-Orient russe, déserté depuis la chute de l’URSS. Seuls sont restés dans cette région, où le pire et le meilleur se côtoient, les retraités, les hommes peu qualifiés, les femmes qui n’ont pas les moyens de partir avec leurs enfants ou encore ceux qui n’ont nulle part où aller. Cette région autrefois financièrement attractive – des salaires supérieurs à la moyenne récompensaient les pionniers volontaires – est délaissée. Quelques hommes natifs de l’Extrême-Orient y reviennent une fois leur contrat dans d’autres coins de la Russie terminé, mais beaucoup fondent une nouvelle famille et cherchent à oublier celle qu’ils abandonnent là-bas. À l’inverse, il est des mineurs saisonniers, venus fouiller la boue de la Kolyma, à vivre une amourette… avant de rentrer chez eux. Pour les femmes des villages isolés, ces relations estivales représentent parfois le seul espoir d’avoir un enfant et un semblant de vie de famille !
Mais ce tableau de la condition féminine en Russie n’apparaît pas aussi sombre à quiconque prend le temps de mettre un visage et un nom sur chacune de ces femmes. Alors se découvrent leur énergie à combattre le sort, leur volonté à vivre, leur acharnement même à être heureuses. La femme russe drôle, passionnée et généreuse n’est pas une légende.


En 2004, tout juste rentrée de huit mois passés en Asie du Sud-Est, Valérie François rêve déjà d’autres horizons. Son amie, Géraldine Bérard, évoque avec elle ses études de russe, ses séjours en Russie et son rêve : rejoindre depuis Moscou le détroit de Béring en passant par Iakoutsk, en empruntant la route de la Kolyma et en faisant étape à Magadan. Ces noms-là, qu’elle a entendus à chacun de ses séjours sur la terre des tsars, symbolisent à ses yeux des immensités sauvages et reculées où la vie, en moins d’un siècle, a connu des bouleversements qui ont affecté en profondeur ses populations.
Conscientes de partager les mêmes envies et la même conception du voyage, Valérie François et Géraldine Bérard partent en Russie, où elles vont séjourner de mai à septembre 2005, avec pour but de prendre le temps d’écouter, d’échanger. Depuis Moscou, le Transsibérien puis le BAM (Baïkal-Amour-Magistral) qui, par le nord, contourne le lac Baïkal, « la perle de la Sibérie », les emmènent à Nérioungri, en république autonome de Iakoutie. Puis c’est par la route qu’elles rejoignent, au terme de 10 000 kilomètres de piste et de voie ferrée, la ville portuaire de Magadan, dans l’oblast du même nom, sur les rivages de la mer d’Okhotsk.
Valérie François et Géraldine Bérard arpentent la toundra, traversent la taïga, partagent pirojki et salade russes autour de verres de vodka glacée, cueillent les champignons aux abords des datchas, refont le monde en compagnie d’hôtes heureux de conter leur histoire, avec nostalgie selon l’habitude russe. Elles rencontrent les héritiers des petits peuples du Nord, éleveurs de rennes, chasseurs de zibelines ou pêcheurs de saumons, pionniers attirés par l’or de la Kolyma, émigrés volontaires ou encore prisonniers politiques déportés dans les goulags.
Grâce à la connaissance de la langue russe de Géraldine Bérard, ce voyage se mue en découverte de l’existence des femmes russes, dont les rires cachent souvent des larmes. Valérie François et Géraldine Bérard font ainsi la connaissance de personnes d’origine ethnique, sociale ou professionnelle différente, auprès de qui elles restent parfois plusieurs semaines. Le temps d’une soirée, Russes et Françaises confrontent leurs histoires personnelles et leurs regards sur le monde. Les histoires d’amour qu’elles se racontent trahissent l’évolution des mentalités. Elles reflètent tantôt une époque, tantôt un milieu social, et illustrent mieux qu’un discours les droits et la place de chacun dans la société.






En savoir davantage sur : Géraldine Bérard  & Valérie François 


Livre des intervenantes en rapport avec cette conférence :
Sibériennes, Voyage aux confins de la taïga


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