Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
Apologie du trail :

« Le trail permet de belles itinérances et de grandes échappées à pied. Il m’a inspiré une autre forme de voyage où la course est non plus le but, ou le prétexte, mais le moyen. Du “voyager pour courir”, je suis passé au “courir pour voyager”. Mes voyages à pied, que j’aime particulièrement effectuer sur les chemins de pèlerinage ou les grands axes historiques, se font en effet à grands pas ou à petites foulées. Ainsi, depuis 2012, je suis allé d’Aix-les-Bains à Fistera (le cap Finisterre après Saint-Jacques-de-Compostelle) par la voie du Puy puis le Camino Francés ; j’ai parcouru la Via de la Plata et la Via Lusitana, ou encore la Via Francigena de Canterbury à Rome et le chemin des 88 temples de Shikoku, au Japon, mêlant ma foulée à celles de milliers de pèlerins moins rapides, mais qui eux aussi effectuent le voyage à pied. Toutefois, courir ainsi (et marcher, tant la frontière entre les deux allures est perméable et tient beaucoup au poids que l’on a sur le dos, à la forme et à l’envie) reste un mode de locomotion original. Comme quelques autres coureurs de fond un peu lassés des compétitions classiques, j’y ai trouvé un moyen de vivre la course à pied intensément, grâce à des défis sur mesure que j’invente et aménage à ma façon, sans le stress de l’affrontement avec les autres coureurs ni les contraintes d’une organisation compétitive. Le Catalan Kilian Jornet, star et leader incontesté du trail, en courant sur des pentes autrefois réservées à l’alpinisme et en “inventant” des records d’ascension sur les sommets mythiques, ou bien l’Américain Scott Jurek, coureur de fond très populaire dans son pays, en établissant un record sur le chemin de randonnée de l’Appalachian Trail après avoir tourné le dos à la compétition, me semblent suivre des démarches assez proches, même si l’attrait du record reste plus important pour eux. J’y retrouve sans doute la fameuse solitude du coureur de fond, mise à mal par la popularité de l’activité. Car cette forme de voyage n’est pas bien répandue : si certaines figures historiques peuvent s’y rattacher, tel Mensen Ernst dont les envolées entre les cités européennes, sur des centaines de kilomètres et des jours durant, sont après tout des voyages à pied solitaires, peu de coureurs ont vraiment utilisé leurs foulées pour voyager, tout simplement. On peut bien entendu citer Jamel Balhi, auteur de nombreuses aventures en courant, dont un premier tour du monde en 1986, avec pour tout bagage un sac à dos minimaliste de 5 kilos, ou les frères Crane auteurs d’une diagonale himalayenne au début des années 1980 (racontée dans leur livre Running the Himalayas), et quelques autres. À la limite, un Serge Girard, même si sa recherche de records (il établit des “marques” sur des trajets transcontinentaux dans les années 1990 et 2000) et son équipe d’assistance (un camping-car équipé, des kinésithérapeutes et des assistants) en font davantage un athlète qu’un voyageur.
Mais voyager en courant n’est pas aisé : l’équipement doit être épuré au maximum. Or peu de voyageurs savent partir légers pour de longs périples. Le poids du sac ne doit guère dépasser 7 kilos si l’on veut tenir la distance et cumuler les journées d’effort sans risque de blessures et en s’accordant une bonne récupération. Un équilibre difficile à atteindre pour un voyage au long cours, à moins de bénéficier d’une assistance logistique. J’ai éprouvé moi-même des difficultés à adapter mon bagage à de telles contraintes sur certains de mes périples. Ainsi, sur la Via Francigena… Parti à la mi-octobre d’Angleterre, j’ai dû emporter suffisamment d’affaires chaudes pour franchir le col du Grand-Saint-Bernard sous la neige et, du coup, marcher plus que courir jusqu’à la frontière italienne. Ensuite, allégé de précieux kilos, j’ai pu parachever le voyage au pas de course. Sur d’autres itinéraires, j’ai dû m’adapter à des impératifs professionnels et prendre un ordinateur ou du matériel photographique lourd, comme l’année suivante en partant de Rome à Brindisi sur la Via Francigena nel Sud. Voyager en courant restera donc certainement l’apanage de quelques explorateurs de l’effort.
Pour moi, cela résume parfaitement le rapport au monde du coureur à pied que j’évoquais. À la fois humain et transcendé, si petit dans l’effort, si lent finalement, et si grand dans sa quête émotionnelle intérieure. Le voyage en courant rappelle la simplicité de la condition humaine, qui s’est sans doute d’abord construite grâce à ce déplacement bipédique, en petites foulées. Ainsi, en parcourant les chemins incertains du sud de l’Italie sur la Via Francigena nel Sud, de Rome à Brindisi à la fin de l’année 2015, je cours sur les pas de l’histoire, puisque le parcours épouse celui de la Via Appia Antica, la plus fameuse voie romaine. Ce sentiment d’appartenir finalement au grand mécanisme de l’histoire me porte. Néanmoins, j’y cours souvent aussi face à une circulation routière dense qui me ramène à ma condition presque incongrue de piéton de l’ère contemporaine. Courir là même où des milliers de légionnaires, de colporteurs et de pèlerins ont déambulé relève de l’anachronisme, cette voie antique étant souvent recouverte par la route nationale. Il me semble alors effectuer un voyage dans le temps aussi bien que dans l’espace. Je trouve dans cette confrontation avec l’automobile une autre justification à de tels voyages à pied : ils permettent de mieux se connaître mais aussi de ressentir le monde, en appréciant à leur juste valeur les distances et l’espace, quasiment abolis par les transports modernes. La course, même si elle est une allure rapide reste d’une lenteur effarante d’un point de vue contemporain, pragmatique, et ne se justifie comme moyen de transport que par la capacité d’émerveillement et de transcendance qu’elle induit, sans doute due à l’effort physique intense qu’elle requiert.
Il est vrai qu’on a souvent mentionné le voyage intérieur pour qualifier une course de grand fond, même si elle se déroule sur l’anneau d’un stade ou, pire, dans une salle. Les spécialistes des vingt-quatre heures aiment utiliser cette image pour définir la motivation qui les pousse à réentreprendre ce type d’épreuve qui, a priori, paraît absurde et abrutissant (il l’est même pour de nombreux passionnés de course et d’effort prolongé). Un voyage à la fois mobile et circulaire, paradoxal. La dimension introspective ne fait aucun doute, même si c’est une recherche accomplie dans un effort mettant en jeu toute la volonté de l’esprit et toute l’énergie corporelle.
C’est cette introspection et ces moments passés seul face à moi-même, guidé par le rythme de mes foulées ou de mes pas, que je recherche. Ce sont eux que je traque en m’élançant chaque jour pour sept à huit heures sur la Via Francigena, avec plus de 50 kilomètres devant moi, ou en cheminant sur l’île nippone de Shikoku, en pèlerin “express” et solitaire du fait de mon allure et de ma méconnaissance de la langue, tout acquis à la contemplation de la nature et des pensées qui m’envahissent. Fulgurant échange de fluides et d’énergies complexes entre mon corps en mouvement, mon cerveau et le paysage qui défile ! Mais c’est aussi cet espace de pensée, ce temps bien particulier à mes yeux et au plus près de mes sensations, que je traque lorsque, à l’issue d’une journée de travail, je pars courir, pour une heure ou même moins, à côté de chez moi.
Voilà un espace de pensée et de sensations liées à la course, légèrement différent des pensées qui naissent de la marche. Au cours de mes voyages à pied, les deux allures sont très proches et s’enchaînent naturellement durant chaque étape. Cela ne tient souvent qu’au poids et à l’épaisseur du sac. À la forme physique et à l’envie aussi. La contrainte des kilomètres à parcourir pendant la journée reste choisie librement. La limite entre les deux allures est bien évidemment poreuse ; l’alternance est spontanée : on reste dans le voyage à pied. »
(p. 65-72)

Les grands précurseurs (p. 21-27)
Une pratique devenue populaire (p. 47-53)
Extrait court
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