« Hors collection »

  • Dersou Ouzala
  • Tamir aux eaux limpides (La)
  • Julien, la communion du berger
  • Lettres aux arbres
  • 100 Vues du Japon (Les)
  • Légende des Pôles (La)
  • 100 Objets du Japon (Les)
  • Chemins de Halage
  • Vivre branchée
  • Solidream
  • Cap-Vert
  • Voyage en Italique
  • Esprit du chemin (L’)
  • Testament des glaces (Le)
  • Un rêve éveillé
  • Pouyak
  • Œuvres autobiographiques
  • Périple de Beauchesne à la Terre de Feu (1698-1701)
Couverture
Mars 1700 :

« Le premier, nous nous espalmâmes ; M. de Terville fut à bord du commandant qui l’avait mandé pour consulter sur ce que les Espagnols, qui étaient au bord de la mer comme à leur ordinaire, à qui l’on avait envoyé parler par un officier qui savait la langue, demandaient de la part du gouverneur notre commission, qu’il voulait voir. M. de Beauchesne leur en envoya une copie en latin que M. de Terville avait fait faire de la sienne à Valdivia et qui était conforme à celle de M. de Beauchesne, avec une lettre. Après midi, les Espagnols rapportèrent réponse du gouverneur, qui marquait avoir reçu la lettre à une lieue de là, avec mille témoignages de joie de nous voir dans ces mers pour en chasser les forbans ; et quoiqu’il eût des ordres très sévères du roi d’Espagne pour ne reconnaître aucun vaisseau étranger dans la mer du Sud, il ne laisserait pas de nous donner tous les rafraîchissements que nous lui demandions, qu’il avait donné ordre pour cela, que nous les aurions incessamment, qu’il viendrait lui parler le lendemain et qu’il aurait toutes sortes de satisfactions.
2 – Nous fîmes du lest avec la chaloupe du commandant et la nôtre. À 8 heures, les Espagnols vinrent. M. de Beauchesne leur envoya notre canot avec de ses officiers, M. de Terville fut à son bord avec le directeur des marchandises et douze soldats qu’on devait mettre en haie avec ceux de son bord pour recevoir le gouverneur ou ceux de sa part. Peu après le canot revint, apporta plusieurs Espagnols, tant moines qu’autres, ayant laissé un officier à terre pour otage. M. de Beauchesne les reçut du mieux qu’il fut possible et on les traita du peu de chose qu’on avait, buvant à la santé du roi d’Espagne qui fut saluée de cinq coups de canon, et on les salua de sept autres quand ils s’en furent après avoir fait promesse de toutes choses pour le lendemain.
Quelques Espagnols créoles de la mer du Sud ont assez peu de discernement pour croire que nous ne sommes pas faits comme les autres hommes, et plusieurs moines assez ignorants ou malicieux, bien loin de les tirer de ces superstitions, les y engagent davantage, jusqu’à leur prêcher en chaire pour leur donner une idée terrible des forbans ou flibustiers français qui sont ceux qu’ils abhorrent le plus, qu’ils sont tous difformes, qu’ils tiennent de la bête et que Dieu pour les punir et les distinguer d’eux, leur a donné une queue comme aux chiens, ce que les pauvres imbéciles croient si bien qu’un naturel eut assez peu de honte ou pour mieux dire d’esprit pour demander en grâce à un de nos officiers de lui faire voire la sienne, ce qui le surprit et nous confirma ce que les flibustiers nous en avaient dit plusieurs fois. Cependant il désabusa du mieux qu’il put ce pauvre homme, quoique ne pouvant s’empêcher de rire et en effet il y avait de quoi.
Ce jour, nous apprîmes que l’Espagnol qui était venu le premier à bord s’était fait bien des affaires et qu’il serait en prison jusqu’à ce que nous fussions partis, pour nous avoir parlé de plusieurs choses qu’ils voulaient taire.
3 – Entre 5 et 6 heures du matin, alors que tout le monde était encore couché à bord et qu’il faisait très peu de vent, nous ressentîmes plusieurs secousses que fit le vaisseau. Chacun s’éveilla et fut surpris, ne sachant à quoi attribuer cela. Les uns disaient que c’était quelque baleine qui avait frappé contre le bord et les autres que c’était un tremblement de terre. En effet, ceux-là avaient bien plus de raison que les autres, car quelque grosse qu’eût été la baleine, il est impossible qu’elle eût fait remuer une masse comme notre navire avec tant de rapidité.
Sur les 9 heures du matin, il parut quelques Espagnols qui n’approchèrent point du bord de la mer et disparurent sur l’heure même. Sur le soir il en vint cinq ou six à l’endroit ordinaire. M. de Beauchesne leur envoya son canot. Il s’en embarqua un dedans, qui apportait pour présent de la part d’un moine à qui on avait donné une bible, un mouton, une chèvre, vingt-cinq poules et deux paniers de pêches et raisins. Cet homme nous dit qu’il avait fait un grand tremblement de terre qui avait jeté à bas une des principales églises de leur ville avec plusieurs maisons, que cela était assez ordinaire dans ce pays à cause des volcans, et que communément ils en ressentaient deux tous les ans mais qu’il y en avait plusieurs qu’il n’avait été si terrible ; que si les bœufs qu’ils nous avaient promis n’étaient pas venus, c’était à cause que comme les terres sont fort sablonneuses ils ne pouvaient marcher, qu’on avait été obligé de les tuer et les charger sur des chevaux, ce qui en retardait la venue, et que sans faute nous les aurions le lendemain de bonne heure.
4 – À 8 heures du matin, il y avait au bord de la mer des Espagnols qui apportaient de l’ambre gris pour traiter deux moutons et beaucoup de fruits. M. de Beauchesne envoya chercher M. de Terville et le directeur des marchandises pour les consulter sur une lettre qu’il écrivit et envoya au gouverneur, qui nous permettait la traite par un de ces Espagnols qui était à son bord. Nous avions plus lieu d’espérer de vendre nos marchandises en ce lieu qu’en pas un autre, parce qu’il est éloigné des grandes villes et qu’ils le peuvent faire en secret, étant presque les maîtres de leur conduite.
5 – À 2 heures du matin, nous vîmes une éclipse de lune qui dura une heure et demie. À 5 heures, nous levâmes notre ancre afin qu’elle n’entrât point trop avant dans la vase et en mouillâmes une autre. Devers les 1 ou 2 heures après midi, quelques cavaliers espagnols apportèrent un bœuf mort et deux jarres de vin, mais comme on vit que tout cela ne provenait que de la crainte qu’ils avaient que nous ne fissions descente, à quoi ils s’attendaient de jour en jour, et qu’ils tâchaient à nous amuser le plus qu’ils pouvaient pour porter des nouvelles par toute la côte et peut-être à Lima où étaient leurs vaisseaux de guerre, le commandant mit flamme d’ordre et assembla le conseil, savoir de retourner au détroit de Magellan ou bien de descendre plus nord pour attendre une saison favorable. Cette question fut longtemps débattue, vu le peu d’apparence d’avoir des vivres dont nous n’avions plus que pour dix mois à bien ménager et qu’on n’avait pas ordre d’en prendre de force. Cependant, malgré toutes ces difficultés, on prit la résolution de poursuivre le voyage. Cela ne fut pas plutôt conclu qu’on mit à la voile sur les 3 heures après midi d’un petit vent de S.-S.-E., faisant route au N.-N.-E. pour Touville-mal-abri. »
(p. 220-222)

Avertissement au lecteur (p. 35-36)
Janvier 1700 (p. 152-154)
Extrait court
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