Collection « Sillages »

  • Treks au Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
Nuit clandestine à Jérusalem :

« Le Jourdain a creusé son lit dans une vallée profonde située à 400 mètres au-dessous du niveau de la mer. Les policiers jordaniens m’ont donné l’autorisation d’approcher le pont Allenby à pied, à travers un no man’s land de 3 kilomètres. Je ne suis qu’un petit point sombre sur un fond de collines ocre. J’ai l’intuition que le passage de cette frontière ne sera pas comme les précédents.
Je parviens au pont Allenby, protégé par des herses et des barrières métalliques coulissantes. Deux hauts miradors évoquent l’entrée d’une prison à ciel ouvert. Encore du kaki, encore des armes. Le drapeau israélien bleu et blanc flotte au vent. Pas le temps de m’attarder sur le pont, long d’une vingtaine de mètres et large de 3. Ses deux extrémités sont closes par des barrières surmontées de barbelés. Dès qu’il aperçoit ma silhouette hésitante, le soldat israélien prend une pose de play-boy, ajuste ses Ray-Ban puis allume une cigarette blonde en claquant bruyamment son Zippo. Il mâche un chewing-gum et me regarde d’un air soupçonneux.
“Dépêche-toi !” Le militaire m’intime l’ordre d’entrer dans le bureau de la douane. Ce bâtiment à air conditionné n’a rien de comparable avec les douanes plutôt sommaires des autres frontières proche-orientales. Des officiers me poussent à l’intérieur, m’obligeant à presser le pas. Ils portent tous la kippa. Le contraste avec les douaniers aimables de Jordanie est saisissant.
Je dépose docilement mon sac sur le tapis roulant d’un appareil à rayons X. Il disparaît dans l’engin mais n’en ressort pas. La procédure s’éternise. On me pousse ensuite dans un bureau.
“Asseyez-vous, s’il vous plaît !”
S’ensuit un long interrogatoire qui porte principalement sur les raisons de ma venue en Israël. Deux heures interminables.
Un jeune Israélien au crâne rasé agite mon passeport sous mon nez et passe chaque page devant un faisceau de lumière.
“Qui a fait ce passeport ? me demande-t-il.
— La police française.
— Pourquoi est-il faux ?
— Ils n’en avaient plus de vrai…
— Ne vous foutez pas de ma gueule !”
Franck Laval, le consul de France, m’avait averti. Le passage de cette frontière serait une rude épreuve. On me confronte à présent à cinq personnes, dont trois jeunes filles âgées d’une vingtaine d’années, vêtues d’un treillis. Elles effectuent leur service militaire de deux ans, obligatoire en Israël. Les visas arabes qui jonchent les pages de mon passeport – Syrie, Liban, Jordanie – les intriguent fortement.
Mon sac est l’objet d’un grand nettoyage ; son contenu est intégralement vidé sur une table en inox, dans un bureau aux allures de bloc opératoire. Les jeunes filles ont enfilé des gants et chaque objet est retourné, analysé, inspecté, disséqué, démonté avec dextérité. On ôte le capuchon de mes stylos, on enlève leurs cartouches d’encre. Seuls deux objets échappent à leurs manipulations. Le rosaire du pape, ainsi qu’un chapelet de perles d’ambre donné par un imam. Ces deux colliers déclencheront une nouvelle série de questions dont la première sera : “Êtes-vous musulman ?” Un inspecteur en civil, plus sympathique que ses collègues, me demande de décliner mon identité. Durant tout l’interrogatoire, je reste de marbre, impassible, et surtout j’essaie de ne pas éclater de rire. J’explique que je ne suis ni un terroriste ni un espion palestinien, et que je ne transporte pas de drogue. J’ignore ce qu’ils recherchent, mais si je le possède ils vont sûrement le découvrir.
Un jeune policier déroule mon sac de couchage, non pour me proposer une sieste, mais pour tenter d’y trouver quelque chose de dur dissimulé entre les plumes de mon duvet. Peine perdue : j’aurais de toute évidence réussi à avaler l’objet en question entre les deux frontières, au cœur du no man’s land… Il me demande ensuite d’enlever mes chaussures. Je m’exécute et passe mes Nike dans la machine à rayons X. On examine minutieusement mon canif. “Combien de personnes as-tu tué avant d’arriver en Israël ? Combien de Juifs as-tu l’intention de tuer en Israël ?”
Arrivée de deux jeunes Israéliennes qui ont enfilé des gants de tissu blanc et s’emparent du contenu de mon sac. Elles appliquent une petite compresse de tulle sur chaque objet comme pour les dépoussiérer légèrement. L’opération dure une vingtaine de minutes. J’observe la scène, intrigué. J’apprendrai plus tard, à Jérusalem, que la fouille que je venais de subir était doublée d’un examen minutieux. Aucun détail ne fut négligé, laissé au hasard. Si j’avais transporté une bombe ou une quelconque arme à feu dont je me serais débarrassé peu avant de subir le contrôle à la frontière israélienne, les services de sécurité l’auraient établi en détectant sur du tulle les éventuelles particules d’explosif qu’elle aurait déposées à l’intérieur de mon sac à dos. Une machine à infrarouge analyserait ensuite ces poussières à conviction. Preuve irréfutable… Ces méthodes donnent une idée des moyens mis en œuvre par la police israélienne pour assurer la sécurité du pays.
Mon entrée dans l’État d’Israël s’effectue par Jéricho, ville de Cisjordanie située à proximité de la mer Morte, dans la vallée désertique du Jourdain. L’endroit est sublime. Cette oasis de palmiers et d’arbres fruitiers serait, selon la Bible, la première ville prise par les Hébreux entrant en Terre promise sous la conduite de Josué. La route s’enfonce à perte de vue dans les abysses rocheux. Mes chaussures collent au macadam comme sur de la pâte de dattes ; je foule l’une des régions les plus chaudes et basses du globe. La frontière sur le pont Allenby est située à -390 mètres. Le Diable a dû quitter l’enfer pour venir y séjourner quelque temps, dans cette douane maudite aux officiers robotisés. Je n’ai pas décelé dans leur regard la moindre lueur d’humanité. Obsédé par la couleur kaki, je continuerai de voir des militaires partout.
“Welcome in Israël” s’évertue à claironner le responsable des services de sécurité au terme de cette fouille infructueuse. J’exige auprès de lui que mon passeport ne soit pas tamponné, mais que la formalité d’entrée s’effectue sur une feuille volante.
Sur un terrain qui ressemble à un champ d’épandage, des enfants jouent au ballon. Ils s’exclament en arabe. Le climat est tropical, les palmiers croulent sous le poids des dattes qu’ils portent. Je m’assieds et regarde vaguement le ballon en cuir à moitié dégonflé que de petites jambes maigrichonnes envoient en l’air. Leur entraîneur vient à ma rencontre : “Bienvenue à Jéricho.”
C’est un homme d’une trentaine d’années. Large front, petite moustache, léger sourire. Nous faisons connaissance. Emmanuel s’occupe d’une association de jeunes Palestiniens qu’il a créée : Palestinian Youth Association. Je lui explique le but de mon périple à travers les villes saintes. Je fais une brève étape à Jéricho et dois repartir demain.
“Tu es le bienvenu pour dormir chez moi. Nous sommes chrétiens, tu sais, mais chrétiens ou musulmans…”
Après ma mésaventure douanière, je suis heureux de rencontrer une personne chaleureuse. J’accepte volontiers la proposition d’Emmanuel et passerai donc une nuit à Jéricho.
Emmanuel a fait de la jeunesse palestinienne son cheval de bataille. “Ici, m’explique-t-il, la guerre et l’occupation ont détruit les âmes, brisé la jeunesse. Les enfants sont livrés à eux-mêmes sur une terre sans administration définie. Le sport est devenu l’unique moyen de les rassembler.” Faute de moyens, c’est autour de sa maison, dans son grand jardin, que les jeunes Palestiniens se rencontrent, jouent au football, ping-pong ou basket-ball.
La tâche d’Emmanuel n’est guère éloignée de la mienne. L’une de mes missions auprès de l’Unesco consiste en effet à mettre en relation des clubs de sport avec cet organisme international. Le Fonds international pour le développement de l’éducation physique et sportive de l’Unesco a pour vocation de soutenir tels clubs en difficulté dans les régions défavorisées du monde et de leur fournir, grâce à des sponsors, les moyens de se développer et de permettre aux jeunes l’épanouissement par le sport.
Dans la maison d’Emmanuel, une joyeuse marmaille s’agglutine autour de la télévision, allumée en permanence. On me gave de fruits : oranges de Jéricho, bananes de Jéricho, pommes de Jéricho… Fraternité de Jéricho ! La générosité de la mamma palestinienne se fait parfois menaçante : Koul ! Koul !, “Mange ! Mange !”. En arabe, les mots sont souvent répétés plusieurs fois, comme en écho pour s’assurer qu’ils ont été entendus et compris.
Emmanuel a une sœur de 16 ans qui milite activement pour la cause palestinienne. Elle arbore sur le cœur un badge à l’effigie de son ancien petit ami tué à Jérusalem, en octobre dernier, lors du soulèvement de jeunes Palestiniens. Son ami participait à l’émeute, pierre à la main ; les soldats israéliens ont tiré depuis un hélicoptère qui rasait les insurgés. La fusillade a blessé ou tué plusieurs dizaines de personnes. Les intifada, qui sont ici monnaie courante, s’achèvent souvent dans des bains de sang.
Par ailleurs, j’ai l’impression d’être constamment surveillé. Je ne mesure plus le danger inhérent à ma course car, depuis le sud du Liban, je suis devenu un expert en armes et suis rompu à la sévérité des contrôles.
Au fil des jours, mon caractère s’est endurci – il est devenu épineux comme une figue de Barbarie. Je ne porte plus sur le monde le regard candide d’antan. Une dose d’agressivité caractérise désormais mon comportement – bien que je continue, à l’instar des moines jaïns, de porter un grand respect à toutes les formes de vie. Mais, chose impensable un mois auparavant, je commence à écraser mes premiers cafards. Je deviens chaque jour de plus en plus asocial, farouche partisan de l’errance et de la solitude.
Traverser un pays où ne règne pas la paix – ni tout à fait la guerre – exige une certaine réflexion. Je dois me méfier de tout, principalement de la police secrète. Je ne parle guère, évite de poser des questions trop directes et redouble de discrétion pour m’informer.
Aujourd’hui, Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, a annoncé la construction d’un complexe immobilier sur les territoires occupés de Jérusalem-Est, côté cisjordanien. Une bombe explose à Ramallah dans un camp de colons. Cette décision attise la haine des Israéliens envers les Arabes et vice versa. Une série de nouveaux attentats se prépare. La paix n’est plus qu’une notion chimérique, une idée de plus en plus floue. La haine et la violence, ultimes moyens d’expression, se déploient sous toutes leurs formes au Proche-Orient et ne cessent, depuis 1948, de menacer le relatif équilibre mondial. »
(p. 103-108)

Paradis artificiels au Pakistan (p. 236-241)
L’empire du « meyo » (p. 313-317)
Extrait court
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