Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
Les grands précurseurs :

« Dans l’esprit du sportif débutant que j’étais à 12 ans, ces figures et leurs prouesses me fascinaient. Mais si je les gardais dans mon esprit et si elles furent certainement à l’origine de ma fascination pour les longues distances, je devais alors me contenter de courir plus raisonnablement. En feuilletant La Fabuleuse Histoire de l’athlétisme, de Robert Parienté, je rencontrais une première figure passionnante, et propre à m’encourager car elle était sans doute pour beaucoup à l’origine du mode de vie suivi par de nombreux coureurs après lui. Cet athlète inspirant, c’était le Finlandais Paavo Nurmi. Ce premier dieu du stade moderne, qui domina les courses de demi-fond au long des Jeux de 1920 à 1928, fut notamment l’auteur d’un doublé légendaire sur 1 500 et 5 000 mètres lors des jeux Olympiques de Paris en 1924, accompli en moins de deux heures. Il établit vingt-deux records du monde lors de sa carrière, en compagnie de son compatriote Ritola (c’était l’époque des “Finlandais volants”). Austère – on peut même dire ascétique –, il ne vécut que pour courir, ou presque. Jamais son visage, même à l’arrivée de courses victorieuses, n’exprimait la moindre émotion. La course, qu’il éleva au rang d’éthique, guidait en tout cas l’ensemble de ses activités. Nurmi n’était pas un joyeux drille. Il parlait peu, et son surnom de “fantôme du stade” tient autant à sa figure aux traits acérés (pommettes creusées et yeux aux orbites profondes) qu’à sa façon d’être. À part, tel un moine. Son précepte, “un coureur doit toujours vivre et se sentir pauvre”, sonne d’ailleurs comme la règle d’un ordre monastique : rien d’étonnant à cela. Nurmi, qui fut militaire, vivait comme un moine soldat ; il s’imposait trois entraînements quotidiens et un régime alimentaire strict. Un précepte logique aussi pour ce sport de pureté, cette expérience dépouillée où le seul instrument quasi indispensable demeure une paire de chaussures. Le concept de pauvreté, de dénuement s’y rapprocherait de la règle suivie par les frères du Poverello d’Assise.
Je ne suis pas sûr que l’on puisse parler d’une véritable philosophie de la course à pied, mais le programme d’austérité et de vie dédiée à un idéal de performance et d’accomplissement, promulgué par Nurmi et ses successeurs, est au moins une hygiène, une règle qui influença nombre de pratiquants. De la sorte, aussi sévère qu’elle fût, la maxime de Nurmi eut un large succès parmi les adeptes. La plupart des grands coureurs de fond furent plutôt du genre ascétique.
Il faut dire que les contraintes du sport de haut niveau, et encore plus de celui-ci, fondé sur une attention constante et une condition physique poussée à son maximum, n’engagent pas à des mœurs dissolues ou même à des habitudes de bon vivant. Si un coureur veut briller, il doit s’y consacrer corps et âme et adopter cette ligne de conduite. Sans autres excès que ceux de la course elle-même. Plus tard, Dieter Baumann, le champion allemand (vainqueur du 5 000 mètres aux jeux Olympiques de 1992, devenu ensuite conférencier) que j’admirais jadis, dira de sa pratique qu’elle est “un style de vie, presque une philosophie”. Je ne tardais pas à faire miens ces mots. Pourtant, au fil du temps et même si la course reste pour moi un art de vivre, j’ai mis beaucoup d’eau dans mon vin par rapport à la rigueur de mes vertes années.
Ces préceptes stricts continuent d’inspirer des coureurs de niveaux et de profils variés. Ils pourraient en effet ne concerner que les athlètes de pointe, dans leur exigence de performance et leur soif de victoires… Des milliers d’adeptes ont pourtant adopté cette hygiène de vie plus ou moins sévère, voire ce dénuement. Par mon travail de journaliste et ma passion, j’en rencontre beaucoup qui suivent un emploi du temps réglé autour de leur pratique et observent une alimentation saine, parfois même surveillée. Pas ou peu d’excès, peu d’alcool et encore moins de tabac. L’entraînement intensif, lui aussi cadré par un plan mensuel ou un coach, ne laisse rien au hasard.
Ces athlètes amateurs sont d’âge et de niveau divers. En 2016, lorsque je cours les 80 kilomètres de l’Eco-Trail de Paris, une course qui traverse les bois de la région parisienne pour arriver à la tour Eiffel, je suis frappé par le nombre de connaissances qui, la trentaine, et même la cinquantaine passée, s’adonnent avec toujours plus de rigueur à leur exigeante passion. Moi qui ai un peu relâché la pression d’un entraînement ciblé et d’une préparation minutieuse, je me retrouve entouré de personnes qui expérimentent des régimes, des plans d’entraînement et des techniques dans le but plus ou moins avoué d’améliorer leurs performances. La plupart ne sont plus si jeunes ; ils ont, c’est vrai, parfois découvert les joies de l’effort sportif sur le tard, ou au moins après une jeunesse éloignée de telles préoccupations, et ils conservent un enthousiasme de cadets avec la volonté farouche de progresser, quitte à adapter leur vie pour atteindre leur objectif.
L’implication très forte d’amateurs, dont les résultats ne changeront rien, objectivement, à leur statut social et ne leur apporteront ni argent ni gloire, s’explique sans doute par les racines même de la discipline. La course de fond a bâti sa légende sur des figures d’austérité : Nurmi ou avant lui Hannes Kolehmainen, premier champion finlandais (vainqueur du 5 000 et du 10 000 mètres à Stockholm en 1912), rigoureux dans sa préparation et austère végétarien. Sur des figures de travail acharné aussi, avec Zátopek et Volodymyr – alias Vladimir – Kuts, grands champions des années 1950 qui furent également des héros du régime socialiste dont ils devinrent, presque au même titre que l’ouvrier Stakhanov, les incarnations populaires. Zátopek le torturé a marqué les mémoires : il courait en grimaçant, avec un fort mouvement de la tête et des épaules, comme si sa volonté luttait contre un corps tiraillé par des tensions internes, tandis que bras et jambes semblaient agir indépendamment du reste du corps dans un mouvement fluide et efficace. Son allure ne dégageait pas vraiment une impression de facilité, mais plutôt celle d’une laborieuse “locomotive humaine” – son surnom – actionnée par les pistons d’une musculature puissante poussée dans ses retranchements. Plus proche de nous, la recordwoman du marathon Paula Radcliffe avançait également, coûte que coûte, avec une allure où la souffrance semble omniprésente. Jeune coureur j’étais très inspiré par la figure de Zátopek, qui était, contre toute attente, un homme plein d’humanité et de bienveillance, ouvert d’esprit malgré les séances de torture qu’il s’imposait : il parcourait quotidiennement 40 kilomètres sur piste, en sprintant un 400 mètres sur deux, enchaînant inlassablement les tours de stade. Il semblait, au contraire de Nurmi, affable et dans le monde, malgré sa discipline de fer : plus tard, il fut un acteur non négligeable du printemps de Prague. Aujourd’hui encore, même si les méthodes d’entraînement ont évolué, les athlètes de tout niveau savent que pour briller en course à pied, il faut du travail. »
(p. 21-27)

Une pratique devenue populaire (p. 47-53)
Apologie du trail (p. 65-72)
Extrait court
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