Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
Des sommets sous la lune :

« C’est de nuit que commencent les grandes courses en montagne. Le réveil sonne toujours très tôt, trop tôt. On venait à peine de s’endormir, bravant l’inconfort de la couchette étroite, de la couverture rêche et des ronflements irritants… Et déjà, il faut s’arracher à ce qui semble maintenant, rétrospectivement, un paradis perdu. S’extraire du bat-flanc, s’habiller dans l’ombre, plier ses couvertures, rassembler ses affaires avec l’angoisse d’oublier l’essentiel, ingurgiter quelques gorgées de thé et une tartine qui ne passe pas, se harnacher à la va-vite, dans la bousculade silencieuse des visages tendus. Un coup d’œil au ciel, si noir et si étoilé : pas de nuage menaçant, excuse à une retraite qu’on n’est pas loin de désirer secrètement. C’est l’heure des remises en question et des ultimes hésitations. Toute une vocation est là, qui chancelle devant l’épreuve. Mal réveillé et pas lavé, le cœur au bord des lèvres, frissonnant dans la nuit froide, la lampe frontale fixée sur le casque, le sac sur l’épaule et l’attirail au côté, le montagnard empoigne son piolet et son courage à deux mains. Le voilà prêt à abandonner le dernier point d’humanité avant l’hostilité du monde extérieur : le refuge, comme il porte bien son nom à cette heure blême ! Les alpinistes sont lâchés, et ils ont piètre figure.
Alors, il faut marcher. Les premiers pas sont difficiles. On titube sur le sentier mal tracé, butant sur le sol irrégulier, poursuivant un cairn après l’autre dans le faisceau des lampes. Plus loin, d’autres loupiotes vacillent dans la nuit. On accélère le pas pour ne pas être décroché. On s’est trop couvert, et on a vite chaud. Une pointe d’essoufflement signale qu’on est parti trop rapidement. Une fois débarrassé de sa veste, on respire mieux. Les automatismes reviennent, le corps reprend vie. Les jambes enfin font leur travail. Maintenant qu’on est lancé, on remarque combien la nuit est belle, immense et calme : pas un bruit, pas un souffle. Rien qui accroche l’œil dans ce paysage aux lignes épurées, réduit au minimum d’un sombre nuancier. Parfois, des oiseaux invisibles qui, dérangés dans leur sommeil, s’envolent dans un frottement de plumes. Ou le fracas d’une chute de sérac, éboulement reculé, irréel. Devant les marcheurs, les silhouettes des montagnes grandissent peu à peu. Pas même une ombre chinoise, seulement un trou plus noir encore que le ciel percé d’une myriade d’étoiles. La marche d’approche est avalée plus vite qu’on ne l’imaginait.
Tout à coup, on est sur le glacier, qui brille sous la lune. Changement d’équipement : crampons, corde, piolet à la main. La marche peut reprendre, dans le crissement des pointes sur la neige. On est maintenant tout à fait réveillé, et plein de hardiesse. Le sang bat à grands coups dans les tempes. La vivacité de l’air apaise le feu des joues. On monte, et l’exaltation de la course en même temps. Les premières crevasses, les premiers séracs. Si la trace est faite, on s’en remet à ses prédécesseurs, sinon, il faut passer au jugé, quitte à se retrouver dans un dédale inextricable et à faire demi-tour. Les gouffres béants sont enjambés d’un pas alerte, les séracs dangereux évités par des détours plus ou moins judicieux. Alors qu’on est occupé à mettre un pied devant l’autre, avec toute l’attention que requiert cet exercice quand il se fait sur douze pointes d’acier, une faible lueur commence à nimber les contours de l’horizon bosselé. La température baisse – phénomène connu de tous, expliqué par personne, qui signale que le jour n’est pas loin. De noir, le ciel se mue en un gris de plus en plus clair, dégradé qui va des roses fragiles aux bleus puissants. Bientôt, on éteint les lampes. Vibrant dans le petit jour glacial, tout un monde improbable se révèle à l’alpiniste ébloui. »
(p. 11-14)

Bonheur et renoncement (p. 48-52)
La main à la paroi (p. 55-56)
Extrait court
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