Collection « La clé des champs »

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Couverture
L’entrée dans le Ténéré – Vertige horizontal :

« Aghaly est assis auprès du feu, emmitouflé dans sa lourde couverture, les pieds dans les braises. Le couvercle de sa minuscule théière bleue claque à chaque transvasement, des brandons volettent et le feu crépite. Appuyé sur un coude, j’observe mon ami kel tédélé et ses gestes précis, attentif à l’animation alentour. Chaque carré avale à la va-vite les trois verres de thé rituels, les restes froids ou à peine réchauffés du plat de la veille. Le temps presse déjà. Dans la nuit qui se disperse, les hommes sont étonnamment discrets, presque silencieux. Les rares ordres sont brefs ; à cet instant chacun est dans son rôle, ni plus ni moins. Des chameaux blatèrent ; leurs cris déchirent l’obscurité, se répercutent contre les parois toujours proches des dernières montagnes. Quelques-uns se plaignent, gémissent, susurrent leur mécontentement ; beaucoup se taisent et seuls les raclements de leurs soles nous les signalent. Ils sont tellement nombreux… Les éleveurs courent entre les bêtes, enchaînent les chargements. Les files se constituent. Le fantôme de la caravane apparaît dans les faibles lumières de l’aurore, immobile. Un petit vent frais s’est levé. Des animaux grommellent, impatients d’avancer ou déjà gênés par leurs fardeaux. Les trois cents quadrupèdes sont debout, les uns derrière les autres, et Issaka lance le signal du départ. Un cri long, sur deux notes, suivi d’un encouragement, chaque matin ou chaque fois que nécessaire, pour motiver la troupe.
Dans cette ambiance matutinale, la cohorte s’organise : hommes et bêtes, inexorablement, trouvent leur place. Pour sortir des ultimes reliefs, les colonnes ondulent dans les dernières tortillères, buttent contre quelques cailloux. Des brasillements jaunâtres, incandescents au levant, nimbent les petits promontoires qui signalent l’aboutissement de l’Aïr et le commencement du désert des déserts. Nous y sommes enfin ! Le jour nous révèle ce que sera notre domaine. Mes compagnons ont-ils, eux aussi, le cœur serré devant cet océan qui nous tend les bras ? Le sol est légèrement incliné. Les dromadaires sont à la queue leu leu, à la suite de leur meneur, les rangs côte à côte. Je prends suffisamment de champ pour contempler l’ensemble, écarquiller les yeux devant le spectacle offert par six cents paires de jambes en ordre de marche, au pas précis, comme pour un défilé. Légèrement en tête, Tanko et sa mine absorbée ; dans le même alignement les autres chefs de file, puis, éparpillés au gré de la caravane, les équipiers ; enfin deux ou trois retardataires qui bavardent, de bonne humeur. Je marche à droite du madougou, heureux d’être là, dans ce face-à-face avec le Sahara, dans cette proximité avec mes compagnons touaregs et les bêtes qui nous entourent. Le sable est froid, il est encore tôt. Nos chaussures sont hétéroclites, qui vont de la vieille basket achetée déjà élimée sur un marché à la sandale de cuir traditionnelle, en passant par le mocassin en caoutchouc.
Tout-terrain, les soles souples et élastiques de nos bêtes font merveille. Les chameaux sont aptes à arpenter ces immensités, escalader les dunes, courir les steppes. Dans le sable, ces diables d’animaux sont à leur aise. Ils n’enfoncent pas, imprimant à l’infini des marques uniques que le vent effacera. Chaque empreinte est reconnaissable pour l’œil averti du nomade, aux facultés d’observation exacerbées. Selon le Suisse Jean Gabus, spécialiste du monde saharien, l’éleveur “sait lire les traces […] fraîches ou anciennes, de quand elles datent et si elles conduisent à des campements, ce que fut le genre de leur caravane, jusqu’à la nature du trafic, jusqu’au poids approximatif de la charge”.
Si le rythme est convenable, il ne s’agit nullement de baguenauder ! Le pas est régulier, volontaire, décidé. L’air reste vif, le soleil est toujours bas, les ombres sont immenses et nous poursuivent. »
(p. 40-43)

L’erg de Bilma – La sensualité des dunes (p. 104-107)
Le Sahel – Tresser la paille (p. 118-121)
Extrait court
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