Collection « La clé des champs »

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Couverture
Ladakh – Ouest himalayen :

« Dans un dédale de coursives et de passages, deux moinillons jouent à cache-cache avec un chiot et se poursuivent autour des stupas avec force éclats de rire. Puis ils disparaissent subitement, laissant retomber le silence sur les imposantes bâtisses qui nous font face. Dressé sur un éperon rocheux au milieu d’un paysage austère et grandiose, Lamayuru est un des plus anciens monastères du Ladakh. L’enchevêtrement des bâtiments, des escaliers et des venelles, où nous nous perdons, témoigne des nombreux aménagements effectués au cours des siècles.
Les moinillons ont dû rejoindre leur salle de classe, car nous entendons bientôt la rumeur de leurs récitations. Au Ladakh, traditionnellement, le fils aîné de la famille se marie et hérite des biens de ses parents, alors que le cadet est destiné à la vie monastique. Les futurs novices entrent au monastère entre 7 et 10 ans, et apprennent pendant plusieurs années à lire et à écrire le tibétain, avant de prononcer leurs vœux ou de renoncer à la vie monastique. Assis sur les toits en terrasses des bâtiments scolaires, les élèves récitent bruyamment leurs leçons, en se lançant en douce de petits cailloux, puis ils redeviennent subitement absorbés par leur texte lorsque le maître s’approche d’eux.
À l’heure de la prière du soir, nous pénétrons dans une grande salle ornée de statues, de fresques et d’objets rituels. Sur un coin de l’autel trône le portrait du dalaï-lama, chef spirituel de la communauté bouddhiste tibétaine. Le monastère est déserté en ce moment car la plupart des moines sont partis suivre les enseignements publics du dalaï-lama à Leh, où une importante communauté s’est réfugiée après l’annexion du Tibet par l’armée chinoise. Le dalaï-lama, par sa présence, leur prodigue un soutien à la fois moral et spirituel. Resté seul, un moine assure chaque jour la puja, cérémonie d’offrande pendant laquelle sont récités des textes religieux. Il s’accompagne de plusieurs instruments ayant chacun une signification et un rôle bien précis dans le rituel : des deux cymbales sbug-chal, la cymbale supérieure symbolise l’Air et la cymbale inférieure la Terre. Simultanément, le moine frappe à l’aide d’une baguette courbe un tambour à double peau suspendu, le rnga, de différentes manières de façon à repousser certains démons… Enfin, la clochette drilbu représente la Connaissance et la Sagesse.
Le moine récite son texte de façon rythmée, jouant sur les hauteurs des notes en fonction de la ponctuation des phrases. Les cymbales, par leur sonorité et leur symbolisme, sont considérées comme un instrument directeur du culte, et font office de repère temporel. Elles annoncent un changement de rythme et d’étape dans le déroulement de la puja. Par respect pour le culte, nous ne prenons pas de photographies lors de cette cérémonie. Nous nous imprégnons plutôt de l’ambiance lancinante et répétitive, qui invite au recueillement.

Assis sur les hauteurs de Leh, à l’écart de la circulation bruyante du bazar, nous contemplons le paysage austère de la vallée de l’Indus. Une prière récitée par des moines bouddhistes nous parvient d’un temple lointain, diffusée par haut-parleurs à l’occasion de la visite du dalaï-lama dans la ville. L’appel à la prière du muezzin se fait soudainement entendre, comme une réponse à la psalmodie des moines, invitant les musulmans à se rendre à la mosquée. Nous sortons précipitamment le matériel de reportage que, fort heureusement, nous transportons toujours avec nous, afin de capter cet instant singulier et éphémère. Étrange mélange de sonorités et de religions, qui rappelle que l’islam est depuis longtemps implanté ici. C’est une facette méconnue du Ladakh, présenté généralement comme un pays essentiellement bouddhique. Descendant des marchands caravaniers et des envahisseurs moghols venus s’établir à Leh au début du XVIIe siècle, la communauté musulmane représente aujourd’hui près de la moitié de la population du district. Elle est traditionnellement engagée dans le commerce, alors que les bouddhistes ont une activité plus agricole. Ainsi, bouddhistes et musulmans se côtoient sans heurts depuis de nombreuses générations, à l’image du temple et de la mosquée qui se dressent de chaque côté d’une même rue, à quelques pas l’un de l’autre. Les deux communautés sont néanmoins assez cloisonnées, les mariages intercommunautaires restant mal vus par de nombreux Ladakhi.
Intrigués par cette facette de la société que nous méconnaissons, nous souhaitons asister à une cérémonie musulmane. Conduits par Shabir Hussain, un sympathique boutiquier du bazar, nous nous rendons à la mosquée. Carine reste malheureusement à la porte, car la salle où nous entrons est réservée aux hommes. Ce soir-là, une prière appelée Durud est célébrée afin d’honorer le prophète Mahomet et d’appeler sa bénédiction. Comme partout ailleurs dans le monde musulman, les prières se font en arabe, ici teinté d’un fort accent ladakhi. Habituellement récitées par l’imam seul, elles sont ici déclamées par l’ensemble de l’assemblée. Cette spécificité locale, nous explique Shabir, remonterait à la venue du missionnaire soufi Hazrat Shaya Amdan qui, il y a soixante ans environ, apprit aux fidèles des prières en les faisant répéter après lui, à l’unisson et à voix haute. Depuis, l’habitude serait restée.
Cette invocation me fait une forte impression. Ces hommes, imposants dans leur djellaba, s’agenouillent d’un seul mouvement et sont en totale communion. Ils témoignent d’une foi qui impose le respect. La présence d’un Occidental en ces lieux, inhabituelle apparemment, en intrigue plus d’un. Pensant que je suis attiré par l’islam, un grand homme barbu au regard sévère tente de me traduire le Coran et nous invite, Carine et moi, à le rejoindre à Srinagar pour découvrir sa religion… Nous déclinons sa proposition avec force remerciements et prenons le large avant d’être convertis. »
(p. 16-18)

Vallée de Lhassa – Tibet (p. 82-84)
Sikkim – Est himalayen (p. 102-104)
Extrait court
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