Celle qui parlait avec les mains :
« Je repense aux heures que Mariko a passées, assise à mes côtés, à m’aider dans mes études de textes japonais, et suis à nouveau submergé par un sentiment de gratitude. Je songe au bentô, mon repas de midi, qu’elle me prépare tous les jours : quelques boulettes de riz accompagnées de morceaux d’omelette ou de poisson, de petits légumes, d’algues, d’oignons ou de pousses de bambou conservés dans du vinaigre, le tout assaisonné de graines de sésame ou de lamelles d’algues kombu. L’ensemble est si joliment disposé dans un récipient hermétique en plastique que j’ai l’impression d’ouvrir un plateau-repas-surprise à chaque fois. À cela, elle ajoute une Thermos de thé chaud. Dire qu’elle est obligée de se lever vingt minutes plus tôt que d’habitude pour me préparer tout ça ! Pourtant je ne lui ai jamais rien demandé, et pourrais tout aussi bien manger à la cantine, mais Mariko tient à me faire économiser de l’argent et à m’éviter d’avoir à faire la queue pour le déjeuner. Autant d’attentions pour lesquelles je ne l’ai peut-être pas suffisamment remerciée.
“Tu sais, elle a déjà vécu ça avec trois de ses enfants. Et tu n’es pas son fils. Tu es venu exprès au Japon pour y vivre ton expérience : tes motivations sont tout à fait justifiées. Au contraire, d’une certaine façon, je trouve que c’est mieux que tu partes bientôt, avant qu’elle ne s’attache trop à toi. Il y a deux ou trois ans, un jeune espoir de la gymnastique japonaise est venu étudier dans la région, et il a logé au Kokushôji pendant plus d’un an. Quand il est parti, Mariko a eu un sacré coup au moral. Elle n’est heureuse que si elle se sent utile, que si elle peut s’occuper de quelqu’un. C’est pour cela qu’elle accueille si bien les invités au temple et qu’elle se charge d’organiser les repas pour les cérémonies. Mais tu dois faire ta vie, ça se comprend.”
Que Yuka me comprenne me soulage. Bien sûr, en théorie, rien n’est plus simple que de déménager. Je suis logé chez Mariko et Shikû, en échange de quoi je leur paie tous les mois une somme qui doit, selon mes calculs, couvrir avec un peu de marge tous les frais que je leur occasionne. Mais il faut prendre en compte l’aspect humain, les sentiments des gens. Tant pis, me dis-je. Le moment est venu de passer à la suite, d’élargir mon horizon.
Sans que je m’en sois aperçu, nous sommes déjà parvenus devant le Kokushôji. Je remercie vivement Yuka, qui avant de me quitter me fait une proposition.
“Tu sais, je suis obligée de me rendre tous les vendredis à Nagoya au studio pour le sous-titrage des vidéos. Si ça te convient, nous pourrions nous donner rendez-vous chaque vendredi après-midi ?”
Je suis heureux d’accepter cette proposition, heureux aussi de m’être fait une alliée, quelqu’un qui saura m’aider à entrer au cœur de la société. Ne suis-je qu’un profiteur égoïste si je souhaite à tout prix retirer quelque chose de la société japonaise ? J’ose espérer que non. En effet, je ne désire rien sur le plan matériel, et n’exige pas non plus que l’on me divertisse ou que l’on me sorte. Je voudrais juste qu’on me laisse entrer pour que je puisse voir de mes propres yeux, vivre moi-même ce que vit le peuple japonais dont j’ai consacré tant d’efforts à apprendre la langue. ” Japon, laisse-moi être l’un des tiens, m’enraciner dans ta terre l’espace de quelques mois, que je puisse comprendre ta nature, la mienne, et quel lien nous unit !
Je sens toutes mes frustrations s’envoler d’un coup. J’ai l’impression que l’avenir s’ouvre à moi. Je songe à toutes les personnes impliquées directement ou indirectement dans mon aventure. Je repense aux paroles de Mariko : en, la destinée, les liens. Mon destin n’est pas indépendant de celui des autres. Je me sens d’un coup petit, chanceux, reconnaissant. »
Le souffleur de bambou (p. 37-38)
Le combattant aux mains vides (p. 154-155)
Extrait court
« Je repense aux heures que Mariko a passées, assise à mes côtés, à m’aider dans mes études de textes japonais, et suis à nouveau submergé par un sentiment de gratitude. Je songe au bentô, mon repas de midi, qu’elle me prépare tous les jours : quelques boulettes de riz accompagnées de morceaux d’omelette ou de poisson, de petits légumes, d’algues, d’oignons ou de pousses de bambou conservés dans du vinaigre, le tout assaisonné de graines de sésame ou de lamelles d’algues kombu. L’ensemble est si joliment disposé dans un récipient hermétique en plastique que j’ai l’impression d’ouvrir un plateau-repas-surprise à chaque fois. À cela, elle ajoute une Thermos de thé chaud. Dire qu’elle est obligée de se lever vingt minutes plus tôt que d’habitude pour me préparer tout ça ! Pourtant je ne lui ai jamais rien demandé, et pourrais tout aussi bien manger à la cantine, mais Mariko tient à me faire économiser de l’argent et à m’éviter d’avoir à faire la queue pour le déjeuner. Autant d’attentions pour lesquelles je ne l’ai peut-être pas suffisamment remerciée.
“Tu sais, elle a déjà vécu ça avec trois de ses enfants. Et tu n’es pas son fils. Tu es venu exprès au Japon pour y vivre ton expérience : tes motivations sont tout à fait justifiées. Au contraire, d’une certaine façon, je trouve que c’est mieux que tu partes bientôt, avant qu’elle ne s’attache trop à toi. Il y a deux ou trois ans, un jeune espoir de la gymnastique japonaise est venu étudier dans la région, et il a logé au Kokushôji pendant plus d’un an. Quand il est parti, Mariko a eu un sacré coup au moral. Elle n’est heureuse que si elle se sent utile, que si elle peut s’occuper de quelqu’un. C’est pour cela qu’elle accueille si bien les invités au temple et qu’elle se charge d’organiser les repas pour les cérémonies. Mais tu dois faire ta vie, ça se comprend.”
Que Yuka me comprenne me soulage. Bien sûr, en théorie, rien n’est plus simple que de déménager. Je suis logé chez Mariko et Shikû, en échange de quoi je leur paie tous les mois une somme qui doit, selon mes calculs, couvrir avec un peu de marge tous les frais que je leur occasionne. Mais il faut prendre en compte l’aspect humain, les sentiments des gens. Tant pis, me dis-je. Le moment est venu de passer à la suite, d’élargir mon horizon.
Sans que je m’en sois aperçu, nous sommes déjà parvenus devant le Kokushôji. Je remercie vivement Yuka, qui avant de me quitter me fait une proposition.
“Tu sais, je suis obligée de me rendre tous les vendredis à Nagoya au studio pour le sous-titrage des vidéos. Si ça te convient, nous pourrions nous donner rendez-vous chaque vendredi après-midi ?”
Je suis heureux d’accepter cette proposition, heureux aussi de m’être fait une alliée, quelqu’un qui saura m’aider à entrer au cœur de la société. Ne suis-je qu’un profiteur égoïste si je souhaite à tout prix retirer quelque chose de la société japonaise ? J’ose espérer que non. En effet, je ne désire rien sur le plan matériel, et n’exige pas non plus que l’on me divertisse ou que l’on me sorte. Je voudrais juste qu’on me laisse entrer pour que je puisse voir de mes propres yeux, vivre moi-même ce que vit le peuple japonais dont j’ai consacré tant d’efforts à apprendre la langue. ” Japon, laisse-moi être l’un des tiens, m’enraciner dans ta terre l’espace de quelques mois, que je puisse comprendre ta nature, la mienne, et quel lien nous unit !
Je sens toutes mes frustrations s’envoler d’un coup. J’ai l’impression que l’avenir s’ouvre à moi. Je songe à toutes les personnes impliquées directement ou indirectement dans mon aventure. Je repense aux paroles de Mariko : en, la destinée, les liens. Mon destin n’est pas indépendant de celui des autres. Je me sens d’un coup petit, chanceux, reconnaissant. »
(p. 80-81)
Le souffleur de bambou (p. 37-38)
Le combattant aux mains vides (p. 154-155)
Extrait court