
Au col Ala-Kul, à 3 560 mètres d’altitude – monts Célestes (Kirghizistan).
Année 2022
© Mario Koch
Le Lot – du 28 juin au 7 juillet :
« Plus extraordinaire encore, Homère semble admirer les paysages qui défilent chaque jour à travers son habitacle, depuis notre départ. Qu’ils doivent lui sembler démesurés, ces grands chênes ! Et que penser de cette colline ? Elle doit lui apparaître comme une montagne, du haut de ses 60 centimètres. Face à celle-ci, notre garçon est serein, apaisé, calme. Il ne fait pas semblant, comme moi, de ne pas la voir. Son dôme se dresse devant lui et il l’accueille paisiblement, ne se cache pas les yeux. Il est confiant, prend la vie comme elle vient, imperturbable, sait qu’il mangera à sa faim et dormira à l’abri, au soir, quand tombera la nuit. Il accepte avec autant de sollicitude les grands festins dont nous gâtent nos hôtes que les boîtes de conserve, avalées sans broncher sur le sol d’une salle communale, raclées par ses parents.
Homère a compris depuis le début qu’il n’y avait pas mort d’homme dans toute cette histoire, que nous n’étions pas faits pour demeurer en repos dans une chambre. Il savait, d’instinct, que l’homme, cette bête cruelle qui nous avait troué le cœur en nous soupçonnant du pire, n’était pas à une contradiction près quand il s’agirait, quelques mois plus tard, de colmater les brèches et de panser nos plaies. Son intuition naïve de petit garçon lui permettait de voir ce que nous n’avions pas encore vu avec nos yeux voilés : nous étions en train de guérir.
L’humain, rencontré chaque jour, nous soignait. Le don de soi, l’altruisme, rencontré chez chacun de nos hôtes, participait de notre guérison. Sans l’avoir encore compris, nous étions sous perfusion d’amour depuis Sedan. Et nous qui nous croyions abandonnés ! Nous n’avions jamais été seuls en vérité. La formidable chaîne d’hospitalité qui s’était formée depuis le départ n’avait jamais cessé, en fine quantité, de nous distiller quotidiennement de quoi réparer la confiance en notre prochain et de nous projeter dans l’avenir : un mot, un compliment, un encouragement, une écoute, un rêve, une anecdote, une envie. De l’amour. »
Une famille en chemin, La diagonale du vide
(p. 175-176, Transboréal, « Sillages », 2025)