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Minerve – Hérault (France)
Année 2020
© Philippe Geniez
Ornithologue. Maître de conférences à l’École pratique des hautes études.

Un oiseau en Beauce :


« Difficile d’invoquer une quelconque exaltation esthétique, ni devant l’austérité de la Beauce automnale ni devant ce volatile monochrome, voyageur nocturne qui se terre, le jour durant, dans les labours en un mimétisme presque parfait. On est bien loin du peuple migrateur magnifié par les photographes et le cinéma. Pourquoi, alors ? Il ne s’agit pas de science, ni d’histoire naturelle, car il n’y a ni hypothèse à tester, ni phénomène biologique à décrire dans l’observation d’un pluvier au repos parmi les chaumes. Ce n’est guère plus qu’un événement ornithologique de portée régionale : le pluvier guignard est un migrateur certes rare en France, mais de passage régulier sur les sommets de la Lozère ou des Pyrénées – dont on peut convenir qu’ils forment des décors plus attrayants que le cliché de l’agriculture industrielle. Tout au plus cette observation intéressera-t-elle quelques passionnés et fera-t-elle l’objet d’une note dans la gazette naturaliste du coin, qui la reléguera par pudeur au rang de redécouverte, plus de cinquante ans après la dernière mention de l’espèce dans les environs.
Cette quête nous est pourtant apparue, dès le début et malgré son ostensible ingratitude, comme une nécessité dont la motivation est trop profonde pour requérir une justification rationnelle. Le pluvier guignard représente, aux yeux de mon camarade comme aux miens, bien plus qu’un simple oiseau. Des sensations : les couleurs pastel des plateaux de Norvège où il est né il y a quelques semaines, les immensités venteuses des steppes qu’il survolera au cours de son voyage à travers le Massif central et la péninsule Ibérique, les senteurs épicées du Moyen-Orient ou du Maghreb qu’il fréquentera cet hiver. Le trésor de la nouveauté, enfin : cet attrait pour l’incertain qui donne un goût particulier à une découverte espérée, mais non attendue. Et puis peut-être aussi le contraste saisissant entre ce discret triomphe du sauvage et l’appropriation outrancière de la terre par l’humain. Quelle inspiration chez cet oiseau migrateur qui choisit de faire halte là où il n’y a plus de nature, défiant par sa simple présence l’agriculture mécanisée, les pesticides, l’anéantissement de la flore et de la faune, quotidien pathétique de cette plaine désolée ! Une recherche allégorique, en somme, de la nature où elle n’est plus censée être […]. »


Extrait de :

L’Hymne aux oiseaux, Petites envolées sur le peuple de l’air et ceux qui l’observent
(p. 14-16, Transboréal, « Petite philosophie du voyage », 2021)

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