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Interview : Tchinguiz Aïtmatov

Un homme et son cheval

Livre concerné : Adieu Goulsary

Qui est Tchinguiz Aïtmatov ?
Tchinguiz Aïtmatov, né en 1928 dans la province kirghize de Talas, en bordure du Kazakhstan, est un auteur soviétique particulièrement fécond. Ayant perdu son père dans la répression stalinienne et accédé adolescent à la fonction de secrétaire du soviet local du fait de la Grande Guerre patriotique qui mobilise au loin tous les hommes adultes, il s’est mis à écrire en kirghize puis en russe sur l’Asie centrale aux prises avec la soviétisation. Consacré par le prix Lénine en 1963, il est ainsi devenu l’un des écrivains issus des nationalités les plus connus hors de l’URSS. En France, sa réputation s’est notamment faite par l’avis d’Aragon sur la nouvelle Djamilia, ? la plus belle histoire d’amour du monde Â». À la fin de sa vie – il est mort en 2008 –, il a représenté dans les instances européennes la Russie des années Gorbatchev puis Eltsine.

Pourquoi republier Adieu Goulsary ?
Ce livre, paru en 1966 en russe, traduit par Lily Denis et paru en français en 1968, est un chef-d’œuvre, tant il parvient à allier une histoire éminemment locale avec une problématique universelle. L’histoire locale, celle d’un homme, Tanabaï, berger de son état, et de sa monture Goulsary – Bouton-d’or en kirghize –, son fidèle ambleur. Un cheval si exceptionnel qu’il suscite la convoitise, toutes les convoitises. Et notamment celle du président du kolkhoze local, qui le réquisitionne à son seul profit comme faire-valoir. À travers cette séparation, c’est toute la relation entre un cheval et son maître qui va s’approfondir et se dévoiler, mais ce sont aussi les contradictions d’une société qui en vient à priver ses meilleurs éléments de toute possibilité d’agir sur leur milieu et de bâtir un avenir meilleur. En réalité, c’est la faillite du système qui s’incarne dans ce roman.

Quelle est la structure narrative ?
Il s’agit d’une succession de vingt-cinq chapitres avec, d’un côté, le cheminement dans la nuit d’un vieil homme et de son cheval épuisé, qui va mourir, et de l’autre, en alternance, la rétrospective complète de ce que le fier destrier Goulsary et son maître Tanabaï ont vécu ensemble, dans une complicité émouvante : la garde des troupeaux, les transhumance et estives, l’alamàn-baïga – le bouzkachi des Kazakho-Kirghizes –, etc.

Y a-t-il des scènes mémorables ?
Les deux scènes sans doute les plus poignantes sont la mise bas catastrophique des brebis à l’occasion d’un regain d’intempéries printanières : les conditions climatiques certes, mais, surtout, l’impéritie des planificateurs et les sacro-saintes prescriptions du Plan sont cause d’un agnelage calamiteux auquel Tanabaï et sa famille essaient en vain de remédier. Conséquemment, l’exclusion du vieux berger fidèle au Parti, qui a malmené un inspecteur venu après la catastrophe la lui reprocher, est un moment d’injustice flagrante où s’exacerbent les rivalités. Où nul compte n’est tenu des sacrifices consentis à la Nation, au Parti et au kolkhoze, à tout ce qui constitue le bien commun.

Quelles sont les caractéristiques de cette édition ?
Y figurent la préface que Jacqueline Ripart, qui a réintroduit le cheval kirghize dans sa steppe d’origine, avait écrite pour la réédition aux Éditions du Rocher en 2012 et, en postface, un article très complet que le soviétologue René Cagnat avait publié en 2008 dans Le Courrier des pays de l’Est sur l’œuvre de Tchinguiz Aïtmatov.

Questions préparées par Émeric Fisset


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