L’âne en fête :
« Rouge est le licou de mon âne, comme le bridon de la mule qui précède le cortège de saltimbanques, têtière à plumes et à grelots qui tintent en résonance avec le grelot du fou. La frontière est floue entre la fête de l’Âne et la Nef des fous. L’âne apparaît dans l’une et l’autre. Au Moyen Âge, les scènes bibliques étaient jouées à l’intérieur des églises. Les ânes y tenaient leur rôle en personne dans la représentation des mystères, que ce soit pour célébrer Noël, la fuite en Égypte ou même l’histoire de Balaam. L’archevêque de Sens écrit une prose de l’âne au XIIIe siècle, qui est une véritable célébration : “Parti de l’Orient, voici venu un âne si fort, si beau, apte à porter les fardeaux…”
Organisée par le clergé lui-même, la fête de l’Âne était aussi une satire liturgique. Un âne revêtu de la chape sacerdotale et coiffé d’une mitre était emmené dans l’église, monté par un faux prélat qui se tenait à califourchon, la tête tournée du côté de la queue. Au sein du clergé les rôles étaient renversés et l’âne, symbole des humbles, accompagné des enfants de chœur et des clercs, occupait la place des dignitaires de l’Église. Les scènes burlesques étaient entrecoupées de hi-han, d’intermèdes braits ! Jugées à la longue inconvenantes, ces bouffonneries furent déplacées à la rue et récupérées par le peuple. Manifestation de la liberté et du renversement des valeurs, la satire devint sociale et donna lieu à des cortèges carnavalesques, où l’âne gardait une place de choix. En anglais, “âne” peut se dire ass, qui n’est pas à traduire. De là sans doute ces assouades, ou chevauchées à l’envers, considérées comme le comble du ridicule. Quelques esprits mal dégrossis continuent d’associer l’âne à ces charivaris et ne peuvent s’empêcher d’ironiser à la vue d’un âne et de ses maîtres. Un mufle qui en rit encore, c’est cet épicier qui, sortant de son officine pour mieux nous montrer du doigt, braillait à qui voulait l’entendre : “Qui veut du saucisson d’âne !”
On ne peut blâmer le serf du Moyen Âge qui pour seule arme disposait du rire ou de la farce. J’aime mieux la folie douce, l’humour décalé, la dérision légère. D’ailleurs les animaux sont comme les enfants, ils n’aiment pas l’ironie. Ils se vexent.
On ne voit plus d’ânes dans les spectacles de rue, et guère plus dans les cirques. Pourtant, au clin d’œil des baladins d’aujourd’hui, qui sont les descendants des drôles du Moyen Âge, on sent la connivence entre l’arlequin et l’aliboron. Ah, la jubilation qui parcourt les gradins quand à la fin de Battuta, Bartabas déboule en trombe sur le dos de son âne ! Pendant quelques jours, en parcourant l’Auvergne, nous fûmes régulièrement rejoints ou dépassés par une troupe de cirque qui se déplaçait en camion. Complicité sonore, faite de saluts et de coups de klaxon.
Moi qui aime le silence, je raffole du tintamarre éphémère des compagnies foraines, des fanfares circassiennes, des accordéonistes de rue. Des ménageries d’antan – un âne, deux singes, l’un ou l’autre chien savant –, il ne reste bien souvent qu’un corniaud emmitouflé. Mais irrémédiablement, et Dieu sait pourquoi, un orgue de Barbarie évoque pour moi la présence d’un roussin d’Arcadie, la douceur de ses cils, l’arrondi de ses joues poilues, la placidité de sa posture. »
À l’écoute de son compagnon (p. 34-36)
Un sobre gourmand (p. 44-46)
Extrait court
« Rouge est le licou de mon âne, comme le bridon de la mule qui précède le cortège de saltimbanques, têtière à plumes et à grelots qui tintent en résonance avec le grelot du fou. La frontière est floue entre la fête de l’Âne et la Nef des fous. L’âne apparaît dans l’une et l’autre. Au Moyen Âge, les scènes bibliques étaient jouées à l’intérieur des églises. Les ânes y tenaient leur rôle en personne dans la représentation des mystères, que ce soit pour célébrer Noël, la fuite en Égypte ou même l’histoire de Balaam. L’archevêque de Sens écrit une prose de l’âne au XIIIe siècle, qui est une véritable célébration : “Parti de l’Orient, voici venu un âne si fort, si beau, apte à porter les fardeaux…”
Organisée par le clergé lui-même, la fête de l’Âne était aussi une satire liturgique. Un âne revêtu de la chape sacerdotale et coiffé d’une mitre était emmené dans l’église, monté par un faux prélat qui se tenait à califourchon, la tête tournée du côté de la queue. Au sein du clergé les rôles étaient renversés et l’âne, symbole des humbles, accompagné des enfants de chœur et des clercs, occupait la place des dignitaires de l’Église. Les scènes burlesques étaient entrecoupées de hi-han, d’intermèdes braits ! Jugées à la longue inconvenantes, ces bouffonneries furent déplacées à la rue et récupérées par le peuple. Manifestation de la liberté et du renversement des valeurs, la satire devint sociale et donna lieu à des cortèges carnavalesques, où l’âne gardait une place de choix. En anglais, “âne” peut se dire ass, qui n’est pas à traduire. De là sans doute ces assouades, ou chevauchées à l’envers, considérées comme le comble du ridicule. Quelques esprits mal dégrossis continuent d’associer l’âne à ces charivaris et ne peuvent s’empêcher d’ironiser à la vue d’un âne et de ses maîtres. Un mufle qui en rit encore, c’est cet épicier qui, sortant de son officine pour mieux nous montrer du doigt, braillait à qui voulait l’entendre : “Qui veut du saucisson d’âne !”
On ne peut blâmer le serf du Moyen Âge qui pour seule arme disposait du rire ou de la farce. J’aime mieux la folie douce, l’humour décalé, la dérision légère. D’ailleurs les animaux sont comme les enfants, ils n’aiment pas l’ironie. Ils se vexent.
On ne voit plus d’ânes dans les spectacles de rue, et guère plus dans les cirques. Pourtant, au clin d’œil des baladins d’aujourd’hui, qui sont les descendants des drôles du Moyen Âge, on sent la connivence entre l’arlequin et l’aliboron. Ah, la jubilation qui parcourt les gradins quand à la fin de Battuta, Bartabas déboule en trombe sur le dos de son âne ! Pendant quelques jours, en parcourant l’Auvergne, nous fûmes régulièrement rejoints ou dépassés par une troupe de cirque qui se déplaçait en camion. Complicité sonore, faite de saluts et de coups de klaxon.
Moi qui aime le silence, je raffole du tintamarre éphémère des compagnies foraines, des fanfares circassiennes, des accordéonistes de rue. Des ménageries d’antan – un âne, deux singes, l’un ou l’autre chien savant –, il ne reste bien souvent qu’un corniaud emmitouflé. Mais irrémédiablement, et Dieu sait pourquoi, un orgue de Barbarie évoque pour moi la présence d’un roussin d’Arcadie, la douceur de ses cils, l’arrondi de ses joues poilues, la placidité de sa posture. »
(p. 63-65)
À l’écoute de son compagnon (p. 34-36)
Un sobre gourmand (p. 44-46)
Extrait court