Collection « Voyage en poche »

  • Fugue au cœur des Vosges
  • Quatre hommes au sommet
  • À toute vapeur vers Samarcande
  • Trilogie des cimes
  • Chroniques de Roumanie
  • Au gré du Yukon
  • Carnets de Guyane
  • Route du thé (La)
  • Jours blancs dans le Hardanger
  • Au nom de Magellan
  • Faussaire du Caire (Le)
  • Ivre de steppes
  • Condor et la Momie (Le)
  • Retour à Kyôto
  • Dolomites
  • Consentement d’Alexandre (Le)
  • Une yourte sinon rien
  • La Loire en roue libre
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Au vent des Kerguelen
  • Centaure de l’Arctique (Le)
  • La nuit commence au cap Horn
  • Bons baisers du Baïkal
  • Nanda Devi
  • Confidences cubaines
  • Pyrénées
  • Seule sur le Transsibérien
  • Dans les bras de la Volga
  • Tempête sur l’Aconcagua
  • Évadé de la mer Blanche (L’)
  • Dans la roue du petit prince
  • Girandulata
  • Aborigènes
  • Amours
  • Grande Traversée des Alpes (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Vers Compostelle
  • Pour tout l’or de la forêt
  • Intime Arabie
  • Voleur de mémoire (Le)
  • Une histoire belge
  • Plus Petit des grands voyages (Le)
  • Souvenez-vous du Gelé
  • Nos amours parisiennes
  • Exploration spirituelle de l’Inde (L’)
  • Ernest Hemingway
  • Nomade du Grand Nord
  • Kaliméra
  • Nostalgie du Mékong
  • Invitation à la sieste (L’)
  • Corse
  • Robert Louis Stevenson
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Sagesse de l’herbe
  • Pianiste d’Éthiopie (Le)
  • Exploration de la Sibérie (L’)
  • Une Parisienne dans l’Himalaya
  • Voyage en Mongolie et au Tibet
  • Madère
  • Ambiance Kinshasa
  • Passage du Mékong au Tonkin
  • Sept sultans et un rajah
  • Ermitages d’un jour
  • Unghalak
  • Pèlerin d’Occident
  • Chaos khmer
  • Un parfum de mousson
  • Qat, honneur et volupté
  • Exploration de l’Australie (L’)
  • Pèlerin d’Orient
  • Cette petite île s’appelle Mozambique
  • Des déserts aux prisons d’Orient
  • Dans l’ombre de Gengis Khan
  • Opéra alpin (L’)
  • Révélation dans la taïga
  • Voyage à la mer polaire
Couverture
Samedi 21 août, soixante-dix-huitième jour :

« “Le baromètre est à la hausse”, nous annonça, de bon matin, le père de Marie. Nous quitterions donc Pitkas Point. “Mais soyez prudents !” ajouta-t-il, en désignant de l’index le fleuve parcouru de frissons.
Lorsque tout fut enfin prêt, il restait à prendre congé de Marie et de Sherina. Si cette dernière ne s’embarrassa pas de protocole, les adieux à Marie furent plus longs et plus émouvants. Notre départ l’excitait et l’attristait à la fois : “Oh ! Comme j’aimerais partir avec vous ! N’y aurait-il pas une toute petite place dans vos bagages ?” plaisantait-elle pour dissimuler l’intense émotion qui l’étreignait.
Puis elle passait sans transition du rire aux larmes, nous prenait les mains à l’un et à l’autre et les serrait, nous embrassa une dernière fois en nous faisant promettre d’écrire de France, dès notre retour.
Finalement, au début de l’après-midi, nous lançâmes le canoë à l’eau pour ce qui allait être sa dernière course.
Nous pagayâmes paresseusement, longeant la berge dénudée, emplissant nos yeux d’ultimes images et nos oreilles des derniers bruits – Comme ils nous étaient devenus familiers ! –, faisant moisson et engrangeant les derniers souvenirs.
Wilburs Place, Kobolunuk, Johnnys Village, déserts, furent passés sans retenir notre attention et Mountain Village dessina bientôt, avec un peu plus de précision à chaque coup de pagaie, le contour de ses bâtisses imposantes – la conserverie de poisson, le magasin – dont un grand nombre étaient construites sur pilotis, chose jamais vue jusqu’alors.
Mountain Village, terme de notre longue errance, de notre folle équipée. Au-delà de cette agglomération, le Yukon contournait la colline Azachorak pour remonter plein nord pendant quelques kilomètres encore puis son chenal principal obliquait brusquement vers l’ouest tandis qu’il lançait mille bras à travers son immense delta plat comme pour mieux assurer son étreinte avec la mer de Béring venue à sa rencontre. Pour avoir trop peiné sous le vent, trop grelotté dans le froid, sous la pluie, au cours des dernières semaines, nous avions laissé monter en nous cette idée que nous ne serions pas les témoins de ces épousailles. D’ailleurs, Alakanuk, où devait initialement prendre fin notre périple, n’était pas encore baigné par le ressac de la mer : Kwikluak Pass, dans les eaux duquel se mirait le hameau d’Alakanuk, poursuivait sa course hésitante pendant quelque temps avant de finir dans Norton Sound.
Un sentiment de soulagement envahissant, qui ne laissait aucune place à la moindre sensation d’incomplétude ou de frustration, me fit manier avec plus d’ardeur la pagaie et notre esquif racla vigoureusement le fond, s’échoua sur la grève de Mountain Village sous le regard mi-médusé mi-intéressé de l’un de ses habitants, que nous saluâmes. Plus que toute autre chose, le canoë monopolisait son attention.
“Vous voulez l’acheter ? hasardai-je.
— C’est un sacrément beau canoë !” répliqua-t-il, appréciant de la main la robustesse de sa coque, la rigidité de ses plats-bords en aluminium marin.
Il reprit : “J’en aurai pas l’utilité, sans moteur”, et poursuivit son inspection méticuleuse.
Puis, après un temps, il ajouta : “Mais je connais quelqu’un, ici, à Mountain Village, qui pourrait être intéressé.”
À ma demande, il nous indiqua le meilleur endroit pour dresser notre campement : à un kilomètre en aval, près d’une source. Puis il prit la direction du village.
Nous empruntâmes, peu après, le même chemin, décidés à nous mettre en quête d’un moyen de regagner Anchorage dès que possible. Derrière le magasin – très animé car lieu privilégié de rencontres –, nous trouvâmes les bureaux de Wien Air Alaska où l’on nous apprit qu’il n’y avait pas de liaison directe entre Mountain Village et Anchorage. En revanche, de Saint Marys partaient des vols réguliers à destination d’Anchorage. Le prochain avion décollerait le surlendemain, dans la soirée.
L’homme affable qui enregistra nos réservations proposa de nous conduire dans son pick-up à l’aéroport de Saint Marys, où il devait lui-même se rendre, levant ainsi le dernier obstacle. J’acceptai non sans un léger pincement au cœur et rendez-vous fut pris avec lui pour le surlendemain.
Ainsi, en un tournemain, furent réglés les détails du retour : c’était déjà le début de la fin.
Les événements se bousculèrent davantage encore lorsque, après avoir glané notre pitance quotidienne au détour des rayons du magasin, nous fûmes abordés par un Eskimo entre deux âges qui, dans un mauvais anglais ponctué de gloussements, nous demanda de le conduire à notre embarcation. Il aimerait y jeter un coup d’œil et peut-être l’achèterait-il, dit-il, car il voulait un canoë pour l’un de ses fils. On l’avait prévenu de notre arrivée et averti de notre intention de trouver un acquéreur pour le Coleman.
Les nouvelles circulaient vite, à Mountain Village, songeai-je, tout en cheminant vers la grève aux côtés de Raphael Murphey, notre interlocuteur. Le canoë lui convint. Le prix modique que nous en demandions également. L’affaire fut conclue rapidement, à la satisfaction des deux parties. Nous convînmes avec Raphaël que le canoë serait à sa disposition dès le lendemain et il acquiesça avec force sourires, courbettes et remerciements, visiblement ravi de l’excellente affaire qu’il venait de réaliser. Il s’empressa de tirer d’un portefeuille usé quelques dollars, les compta, et nous fourra prestement les billets verts dans les mains, comme s’il avait craint que nous ne nous récusions. Puis il s’éclipsa – ce qui, au pays du soleil de minuit, n’a rien d’exceptionnel ! –, et je gageai que tout Mountain Village serait au courant de la transaction avant la fin du jour.
“One foot… Two feet !” Pendant un kilomètre environ, l’eau chanta et ourla de dentelle liquide les flancs du canoë.
Derniers coups de pagaie, auxquelles les mains s’étaient si bien faites, au cours de ce périple, qu’elles en semblaient le prolongement naturel. Campement monté sans hâte, sans mots échangés qui ne fussent indispensables, sur la berge qui parut, ce soir-là, moins accueillante, plus inhospitalière qu’elle ne l’avait jamais été. Gestes mécaniques, acquis à force de répétition, dans lesquels ne se lisait plus aucun enthousiasme fiévreux.
Pendant le repas, pris du bout des lèvres, chacun resta muré dans ses pensées, fixant le feu qui crépitait ou détournant la tête pour ne rien laisser paraître d’une incommensurable tristesse, sombrant dans une sorte de torpeur, n’osant parler de peur de dire : “Ainsi, c’est bien fini. Le voyage s’achève ici et tant de choses meurent avec lui…”
Tomba la nuit. »
(p. 393-397)

Samedi 5 juin 1982, premier jour sur le fleuve (p. 14-20)
Lundi 5 juillet, trente et unième jour (p. 183-188)
Extrait court
© Transboréal : tous droits réservés, 2006-2024. Mentions légales.
Ce site, constamment enrichi par Émeric Fisset, développé par Pierre-Marie Aubertel,
a bénéficié du concours du Centre national du livre et du ministère de la Culture et de la Communication.