Collection « Sillages »

  • Treks au Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
Expédition à Simatalu :

« La plage entrecoupée de cours d’eau limoneux s’étend à perte de vue. Nous avançons le plus souvent sur la dalle sableuse lissée par la marée mais, à force, nos plantes de pied commencent à chauffer et à se rétracter douloureusement. De plus, le bord de l’eau devient par endroits si pentu que nous claudiquons pour rattraper la déclivité et notre hanche droite s’en ressent. Pourtant, pas question de ralentir la cadence et d’aller s’ensabler plus haut. L’épuisement viendrait vite. Jotam et Darmanto, eux, n’ont pas l’air de beaucoup souffrir. Leurs semelles plantaires sont faites d’une corne épaisse et résistante tannée par des chemins plus rudes. Ils avancent d’un pas tranquille, abrités, l’un sous le cône de son chapeau asiate, l’autre sous les ronds roses et vert d’eau de son élégante ombrelle.
Bientôt huit heures que nous sommes partis. Le bord de mer et notre marche perdent à présent de leur régularité. Les nipa, avides de nutriments et de sel, enfoncent à l’horizontale leurs stipes au plus près du bord de mer, nous obligeant à nous frayer un passage entre leurs palmes et à jouer avec les vagues. Par fortes marées, il n’est pas évident de passer par là. Les fruits lanternes des vieux Barringtonia s’éteignent sur la plage tandis que les longues étamines de leurs fleurs, comme d’innombrables fibres optiques, scintillent dans le halo fluorescent des embruns. Signe de bonne santé, la forêt vierge se rapproche aussi de la côte. Les cris d’un singe dans les hautes frondaisons et le vol lourd d’un calao me ramènent avec bonheur à cette nature envoûtante. J’ai vraiment l’impression maintenant de participer à une randonnée inédite, d’avoir le privilège d’entrer une fois de plus dans un monde plein de secrets et de merveilles, un espace où les éléments vivants, solides et liquides, se côtoient comme aux premiers temps, un biotope préservé de toute intrusion nocive.
Plus avant, nous devons contourner les falaises blanches, qui se dressent aux frontières nord et ouest de la côte, et leurs énormes rochers gris sur lesquels brisent les déferlantes. Nous grimpons par des sentiers abrupts et glissants enlacés par des racines tourmentées. La jungle transpire en nous de tous ses pores. Ses ombres agitées par le vent marin subjuguent mon imaginaire. Quelle vie cachée nous épie dans ces entrelacs végétaux ? L’odeur des excréments de makobu est perceptible. Sans doute les singes se cachent-ils, silencieux, dans la canopée juste au-dessus de nos têtes mouillées.
De l’autre côté du corridor, encore des plages d’or et des collines boisées à perte d’horizon : nous venons d’atteindre la côte ouest. Le vaste océan Indien roule sans complexe ses mécaniques en frayant avec cette terre isolée aux franges de l’archipel indonésien : Siberut, la dernière île que j’aperçois quand je suis dans l’avion de Kuala Lumpur pour rentrer, via l’île Maurice, à la Réunion. Je ne peux m’empêcher de penser qu’en face, là-bas à l’autre bout de cet océan, ces îles créoles sont directement voisines des Mentawai ; qu’en huit heures de vol, je passe des unes aux autres, et qu’une fois arrivé, assis sur les galets de la côte est de la Réunion, je songe à mes amis et lointains voisins de Siberut. Drôle d’impression que cette rétraction de l’espace par la pensée. Qui ne rêve comme moi de posséder le don d’ubiquité ?
En fin d’après-midi, nous atteignons la dernière courbe, une interminable plage cuivrée par un soleil déclinant cerné d’inquiétants nuages. L’orage rincera nos vêtements et nos corps saturés de sueur. Qu’il vienne ! Que nous puissions nous reposer un instant à l’abri des cocotiers en nous désaltérant de l’eau et en nous fortifiant de la pulpe de leur fruit béni. La nature est bien faite, surtout quand elle est plantée juste à nos pieds ! Ces plantations nous indiquent d’ailleurs que, dans les parages, la vie humaine a repris son cours. J’aperçois un rapace futé planant au-dessus des panaches de palmes à la recherche d’un poulet égaré. Peu de temps après, nous rattrapons, comme de juste, deux jeunes hommes qui s’en retournent, hotte sur le dos, dans leurs plantations situées dans le secteur de Simalegi. L’un d’eux porte élégamment sous le bras un chaton dans un petit panier de rotin. Nous partageons un bout de chemin ensemble avant de nous séparer à proximité de la rivière Bolot.
À cet endroit demeure un ami de Darmanto nommé Teu Berigou, du clan Tapoleuru de Simalegi. Lui et ceux de son clan ont ouvert une nouvelle et grande plantation en bordure de l’océan. De gros arbres, qu’il nous faut enjamber, jonchent le sol et, dans le fouillis des mauvaises herbes, sont plantés quelques carreaux de légumes et de tubercules. Apparemment, aucun feu n’a été allumé pour défricher et nettoyer l’endroit. Comme dans le sud de Siberut, et contrairement à ce qui se pratique à Politsoman, c’est la technique de “l’abattis et compost” et non celle de “l’abattis et brûlis” qu’ont retenue ces planteurs. C’est dans leur gîte que nous allons passer la nuit et soulager nos petons endoloris. Leur plante calleuse, chauffée à blanc pendant des heures, ne supporte plus, en se refroidissant, le moindre contact un peu dur. Les présentations finies, après une séance de jacuzzi dans la mer, direction le mandi, un trou d’eau saumâtre à l’écart de l’habitation, pour la “douche” et le décrassage. Il n’est pas commode de se laver en pataugeant dans la boue et sans laisser tomber le seau et le savon au fond du puits mais, quand la corvée prend fin, nous nous sentons tout de même ragaillardis. Un confort inattendu et fort appréciable dans ces contrées.
Notre étape à Bolot n’est pourtant pas simplement motivée par le recueil d’anecdotes à propos des commodités locales. Nous avons surtout prévu de nous rendre le lendemain matin, à partir de ce campement de base, au lac Gobjit, situé à quelque distance de là dans la forêt. Nous voulons nous rendre compte de visu s’il existe encore des crocodiles dans ses eaux, comme le laissent entendre certaines rumeurs persistantes. »
(p. 237-240)

L’uma d’Alimoi (p. 39-42)
Offrandes et sacrifices pour la vie (p. 75-78)
Extrait court
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