Collection « Sillages »

  • Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
Inipi :

« Une obscurité totale s’installa lorsque le maître de cérémonie referma l’inipi.
J’étais nu, mon intimité à peine cachée par une serviette de bain, collé à d’autres individus, en posture assise devant le trou rempli de pierres chauffées à vif. Très vite, je compris que le vieil Indien qui m’avait conduit jusqu’ici, sous la loge sacrée, était l’homme-médecine de la cérémonie.
Il se mit à chanter, tandis que sa femme, assise à ses côtés, priait simultanément en langue lakota : “Tunkasila ! Ô Tunkasila ! Fais que nos frères ne se battent plus. Fais qu’ils ne boivent plus. Fais que nos enfants retrouvent la langue de nos ancêtres. Fais que sur notre terre la liberté revienne…”
L’espace restreint et la chaleur oppressante me firent suffoquer. Les pierres incandescentes effleurèrent le bout de mes orteils et, à chaque fois que le maître y versait de l’eau, des gouttes jaillissaient jusqu’à mes cuisses et me brûlaient la peau. “Je veux m’enfuir, hurlai-je en mon for intérieur, mais comment interrompre la cérémonie ?”
“Are you OK, Philippe ?” me demanda l’homme-médecine d’un ton parfaitement clair, indiquant qu’il ne souffrait pas de la chaleur.
Je répondis en murmurant : “Yes, I am OK !”
À chaque fois que les pierres étaient ainsi humectées, les anciens émettaient des petits hum ! de satisfaction. Dans un rituel sacré, chaque individu prend la parole. Vint alors le tour de mon voisin qui me tenait la main. Il pria en langue lakota, comme l’avaient fait l’homme-médecine et sa femme, tandis que les jeunes avaient employé l’anglais pour s’exprimer. Sans doute avaient-ils oublié la langue originelle de leurs ancêtres ?
“Je n’oserai pas parler, me dis-je. Je suis certain qu’ils vont sauter mon tour !” Mais au dernier mot de mon voisin, le silence reprit possession du lieu et je compris que je devais m’exprimer pour ne pas briser le cercle des prières. Je bafouillai alors des mots sincères. Je les remerciai de partager ce moment. J’expliquai aussi que j’étais triste de les savoir mêlés à tant de problèmes. À la fin de mon intervention, l’homme-médecine reprit la parole : “Merci Philippe, me dit-il. Tu as fait un long voyage pour venir jusqu’à nous. Nous en sommes flattés. Quand tu rentreras chez toi, dis à ton entourage que les Indiens, malgré leurs malheurs, préservent leurs traditions. Les Esprits nous ramènent toujours sur le bon chemin. Le respect, l’unité et le partage sont nos valeurs essentielles.”
Je me sentais soudain chargé d’une mission cruciale : rapporter en France le témoignage d’un peuple à la survie précaire, qui détenait des connaissances sacrées, liées à la nature. Ce savoir ne devait pas se perdre dans l’oubli. Mais qui étais-je pour porter le poids de cette tâche ? Je n’étais qu’un nouveau Blanc de passage sur les territoires sioux, attiré comme les autres par l’aspect magique de la pensée amérindienne. Je dus me contenir pour ne pas exposer ce point de vue négatif.
L’homme-médecine rouvrit la porte de l’inipi. La lumière extérieure jaillit brutalement à l’intérieur de la hutte. Mes partenaires, tapis dans l’ombre, étaient tous en nage sous l’effet de la concentration. L’un après l’autre, en commençant par le maître de cérémonie, nous sortîmes en prenant soin d’effectuer le même tour sur nous-mêmes à côté des objets disposés à l’entrée.
Pour conclure la cérémonie, un Indien sortit d’un étui de tissu coloré le fourneau en terre cuite et le tuyau d’un calumet. Il assembla les deux parties de la pipe, plaça dans le fourneau un mélange aromatique de tabac et d’herbes et brandit le calumet dans les quatre directions avant d’en aspirer quelques bouffées. Je n’osai imaginer que j’allais partager ce rituel vénérable. Mon vœu fut exaucé, puisque je fus le deuxième à fumer. L’Indien me tendit le calumet en prenant soin de ne pas présenter le fourneau en premier. Cela aurait été un signe de rejet. Je mimai maladroitement les gestes de salut aux quatre directions et fumai la pipe, l’âme apaisée. »
(p. 176-178)

William Hoper (p. 32-35)
Red River Woman (p. 64-65)
Extrait court
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