Collection « Sillages »

  • Treks au Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
Le Japon : mangas, pêche et traditions :

« Tokyo ressemble à un labyrinthe de béton et de ferraille qui dévore la terre et s’étend sur la mer. Ses tours de verre et ses pyramides de composants électroniques s’élèvent toujours plus haut – les architectes les plus modernes s’expriment ici. Je retrouve le monde si particulier de l’immobilier. Tokyo est une ville oppressante, quoique l’ordre, le respect de l’autre et la sérénité demeurent.
Mon premier défi : trouver un endroit sûr et pas cher pour passer la nuit. Mais ici, ce n’est pas l’offre qui manque, c’est le budget ! Par où commencer ? Il est 7 heures du soir, la ville baigne dans la lumière des commerces et des bureaux. Ce type de ville avale l’aventurier et lui retire son statut : elle offre tout, donc il n’a plus besoin de faire appel à sa débrouillardise. Je ne me laisserai pas faire : je sillonnerai tous les quartiers, de Harajuku à Roppongi, de la statue de la Liberté d’Odaiba à la surabondance des néons de Shinjuku, de la tradition d’Asakusa aux délires de la culture des teenagers de Shibuya. Vraisemblablement parce que cela me relie à mon ancienne vie professionnelle, je suis fasciné par l’architecture grandiose des mégapoles, où les références et les matériaux abondent et où les défis les plus fous semblent être la norme même. Je débute mes recherches à la gare centrale, où je tombe sur un guichet d’informations touristiques. Il est fermé depuis 18 heures, mais sur la borne d’accueil se trouve une liste d’une dizaine d’hôtels. Malheureusement, tout est écrit en japonais. Finalement, je monte dans un taxi et demande au chauffeur de m’indiquer l’hôtel le moins cher. Ils sont tous trop coûteux à l’exception du dernier, qui affiche un prix tellement inférieur aux autres – 2 970 yens – que je suis persuadé que le taxi coûtera plus cher que la nuit elle-même.
“Combien coûte la course ?
— Mille yens (environ 12 dollars) ! répond le chauffeur.
— OK, je reprends la moto et je te suis !”
J’ai du mal à me faire une idée de l’endroit qui va m’accueillir, d’autant que l’hôtel est situé près de la gare, dans le quartier de Ginza, l’équivalent des Champs-Élysées. En arrivant sur place, je découvre qu’il s’agit d’un de ces “hôtels-capsules” : des chambres de 2 mètres cubes ! La plupart des clients sont des hommes qui n’ont tout simplement pas eu le temps de rentrer chez eux après leurs heures de bureau. Le seul bémol concernant ce type de logement, c’est que l’on ne peut rien y laisser entre 10 et 18 heures.
Après une première nuit – blanche en raison de l’inconfort d’un matelas presque inexistant, du bruit de la porte des toilettes qui claque et de l’inquiétude causée par l’environnement oppressant déconseillé aux claustrophobes –, je me suis préparé à passer la deuxième dans une chambre à peine plus grande qu’un cercueil, fermée par un rideau en tissu. Regardons les avantages : c’est aussi convivial qu’une ruche d’abeilles, avec quasiment le même design, et l’on bénéficie d’une télévision de 15 centimètres, d’une radio qui diffuse des sons incompréhensibles et de mangas… Difficile de faire plus rapide en ce qui concerne le dépaysement !
Déambulant dans une grande avenue éclairée par des milliers d’enseignes commerciales, je rencontre un couple qui roule avec un gros custom Kawasaki. Je passe une partie de la nuit avec eux dans un karaoké, sans pouvoir partager un seul mot de vocabulaire. Je remplace la vodka par le saké pour essayer d’améliorer mon sommeil. Sans succès ! Le lendemain matin, j’ai des nausées et un vif mal de crâne. Les annonces précisent que l’hôtel va fermer ses portes dans quinze minutes. Avis aux retardataires ! Comme chaque jour, je dois refaire mon paquetage. C’est le moment de la journée que je déteste le plus. Mauvaise nouvelle, qui parachève mon réveil : l’hôtel ferme ses portes pour le week-end ! Je contacte aussitôt un motard suisse rencontré à Vladivostok et trouve une solution : “Je connais un ryokan – une auberge traditionnelle – où tu pourras dormir pour le même prix ! Dans un premier temps, vas-y en métro, ce sera plus simple. Il faut prendre la direction du nord depuis la station Ginza et descendre à l’arrêt 18. C’est à 300 mètres !”
La ville semble sûre, je reviendrai chercher la moto plus tard. L’esprit de l’auberge conseillée par mon ami est diamétralement opposé à celui des “hôtels-capsules”. Elle se distingue par sa maîtrise de l’espace. Le ryokan, c’est d’abord le vide, puis le choix des matériaux, qui différencient la chambre du reste de la grande maison. L’harmonie entre le bois, le papier et le bambou, le bruit léger des pas sur le tatami, le glissement délicat des portes, la lumière qui s’installe dans l’espace inoccupé créent un échange avec la nature. Le vide et le silence incitent au repos – bien que le confort d’un futon de 5 centimètres d’épaisseur soit aussi limité que celui du petit matelas sur lequel je dormais en Sibérie. Un sac de riz me sert d’oreiller. Nous sommes loin du cinq étoiles mais, à 30 dollars la nuit – incluant le prix du Nurofène pour chasser les douleurs au réveil –, cela reste une bonne affaire !
Mes nouveaux amis japonais me confient leur secret pour retrouver la forme : l’onsen d’Asakusa, tout près d’ici. C’est une source chaude naturelle, d’origine volcanique, réputée pour ses propriétés médicinales. Une option originale y est proposée : le bain électrique. Je m’y risque à une séance complète de deux heures. Elle débute par un savonnage énergique, essentiel pour les Japonais. J’entre ensuite dans un bain à remous à 42 °C, puis poursuis avec un massage à jets puissants. Je termine avec l’étrange bain électrique, dont le courant douloureux paralyse les muscles ! Un client japonais me fait comprendre qu’il n’est pas recommandé d’y entrer brutalement. Je suis tétanisé : je ne peux même plus plier les jambes, donc je ne parviens pas à descendre entièrement dans le bain ! “La technique est simple, me dit un jeune Australien. Respire puis descends lentement. Il faut rester le plus décontracté possible pour que le corps accepte le flux électrique en continu. C’est très bon pour l’organisme !” Après cette torture, je passe l’épreuve de l’eau froide – à 14 °C –, avant de m’enfermer dans un sauna à 80 °C. Au bout de trois cycles, je me sens beaucoup plus détendu ! À l’issue de la séance, je m’octroie un poisson cru et un verre de saké. Une nuit réparatrice s’annonce. Le lendemain, de très bonne heure, je me rends au marché aux poissons de Tsukiji, qui est le plus vaste du monde. Les Japonais sont les amateurs de produits de la mer les plus fervents qui soient. Ils consomment 80 % du thon pêché, dont les plus gros peuvent atteindre des prix faramineux, ainsi que l’explique un journal local : “Un spécimen de 342 kilogrammes, pêché au large de l’île septentrionale de Hokkaido, vient d’être acheté par deux propriétaires de restaurants de sushis au Japon et à Hong Kong 32,49 millions de yens (298 000 euros). Il s’agit du thon le plus cher de l’histoire du Japon. À ce prix, le morceau de sashimi ou le sushi devrait être proposé à environ 3 450 yens (31,65 euros) la pièce.”
J’ai quitté mon ami Jésus, qui poursuit son périple vers la Chine et le Vietnam pour rejoindre l’Australie, où il travaillera pour s’acheter un nouveau side-car Oural. Il aimerait qu’un jour nous fassions le tour complet de l’Afrique ensemble. Pour l’instant, je suis toujours à Tokyo, où les paradoxes sont innombrables. Par exemple, la loi oblige les cyclistes à rouler sur les trottoirs, alors qu’il est interdit d’y fumer au motif que cela serait dangereux pour les enfants ! Hier, j’ai croisé des Français qui venaient de se faire rappeler à l’ordre pour avoir fumé à la porte d’un restaurant, comme cela se fait en France. Il existe certains espaces, cloisonnés par des parois en verre, où c’est autorisé – mais, ici, on fume surtout à l’intérieur. Cette ville est extraordinaire, hyperactive et complexe à cerner.

Le gérant du ryokan me signale que toutes les chambres de l’auberge sont louées pour les deux prochains jours. Je vais devoir me débrouiller pour passer la nuit ailleurs. Vais-je devoir, comme certains employés de bureau qui n’ont pas trouvé de “capsule”, recourir au système D et dormir dehors, sur des cartons ? En tout cas, ici, il est inimaginable de passer la nuit chez l’habitant. Il me reste encore une option : le cybercafé. J’ai pu voir que l’on pouvait y passer vingt-quatre heures pour 2 400 yens et, sachant que personne ne peut rester autant de temps devant un écran, j’imagine que l’on peut y dormir. Je monte à l’étage et découvre une ambiance très silencieuse : la salle est plongée dans l’obscurité, et j’aperçois dans des box restés entrouverts non seulement des geeks mais aussi des cadres recroquevillés sous les machines ! Sur les plans d’évacuation des pompiers, je remarque d’ailleurs la présence de douches et de toilettes. Le personnel à la disposition des clients apporte si nécessaire repas et boissons. Sans plus attendre, je réserve donc une “suite”. Ma nuit promet d’être bonne ! Heureusement, j’ai encore mon oreiller de riz… Ces moments-là resteront gravés dans ma mémoire.
Avant de m’enfermer dans mon cagibi, je passe à la salle de jeux, extrêmement bruyante, où résonne le son du pachinko – une sorte de flipper à sous. Les gérants de ces salles, souvent d’origine coréenne, entretiennent des relations étroites avec les yakuza. Les jeux d’argent étant interdits au Japon, on gagne des billes, qui seront échangées contre des lots, qui seront enfin échangés contre de l’argent dans les boutiques avoisinantes tenues par la mafia japonaise. Ce jeu, comme beaucoup d’autres choses au Japon, m’est incompréhensible. Mais peu importe, je suis heureux d’avoir pu expédier ma moto au Canada. Dans quelques jours, j’entrerai dans un monde différent, le deuxième plus grand pays de la planète. Dix millions de kilomètres carrés occupés par le même nombre d’habitants que la ville de Tokyo. »
(p. 240-244)

Balade extrême en Khakassie (p. 128-132)
Fokino, at the edge of the world (p. 204-207)
Extrait court
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