Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
Carnaval et samba :

« C’était mon premier jour au Brésil, et le deuxième du carnaval. J’étais arrivé de Miami en première classe, mais sans un sou. J’avais été payé de plusieurs mois de cabotage dans le golfe du Mexique par le billet d’avion que le capitaine se réservait, s’il n’avait perdu ses économies dans notre naufrage.
Bien sûr, je voulais voir le fameux défilé. Imperceptiblement d’ailleurs, la cohue des rues me poussait vers la grande avenue, mais l’accès en était contrôlé par trois barrages qui filtraient les invités et les touristes payants. J’essayai de les passer au culot, en montrant avec aplomb comme un sésame officiel ma carte de restaurant universitaire. Si le premier bidasse de la police militaire se laissa surprendre, le second se montra intraitable, me laissant prisonnier dans un no man’s land agité entre les deux premiers contrôles. Celui qui s’amusa beaucoup de mes tentatives diverses et variées pour atteindre l’avenue s’appelait Everaldo Setubal. Il était vieux, petit et ridé, mais son visage n’était qu’un large sourire. Il me fit signe de m’asseoir à ses côtés et de partager sa Brahma Chopp bem gelada. Nous avons longtemps regardé dans un silence complice l’agitation autour de nous, en écoutant la progression assourdissante des batucadas dans l’avenue. Ce que j’entrevoyais était un spectacle féerique. Everaldo me détrompa : “Ça, ce n’est pas le carnaval, ce n’est que du music-hall !” Et il m’expliqua longuement, d’une voix chantante, ce qu’est un vrai carnaval, un vrai défilé, une vraie école, et bientôt la magie de l’instant prit le dessus sur la magie des lieux. Peu m’importait à présent ce carnaval dont j’avais si longtemps rêvé et qui défilait à 10 mètres à peine de moi. Être là, dans cette ville, dans cette nuit, dans cette chaleur, dans ce vacarme, à écouter parler ce vieux mulâtre dans une langue chantante que je comprenais à peine, partager ses bières et ses kibes, sourire ensemble, suffisait à mon bonheur de l’instant. J’aurai du mal, un jour, à expliquer pourquoi je m’étais arrêté si près d’un rêve depuis longtemps couru, et j’aurai encore plus de mal à expliquer l’alchimie précieuse de cette rencontre ordinaire qui prenait le pas sur mon rêve.
Nous parlions depuis des heures déjà, sourds au déchaînement des sambas de enredo, quand un silence étrange se fit sur l’avenue. Puis du fond de la nuit éclairée, a capella, monta comme une sourde et ronde mélopée, reprise par des milliers de voix, dont les paroles répétaient “Mangueira arrive”. “C’est ça, le carnaval !” dit Everaldo avec émotion. Il se leva, me prit par le bras, me fit traverser sans un mot les deux derniers barrages, et me conduisit avec une assurance qui nous servit de sésame jusqu’à l’avenue où défilait l’école vert et rose de Mangueira. “C’est ça, le carnaval. C’est sincère. Ce n’est pas un show. C’est Mangueira qui défile, avec élégance et naturel.” Puis il me poussa gentiment dans la foule en costume d’une “aile” qui passait et qui m’emporta au passage, me criant par-dessus les tambours de la batucada que je méritais d’être mangueiriste. J’ai fait mon premier carnaval en défilant avenue Rio Branco avec Mangueira pour m’échouer avec des danseurs roses et verts, épuisés et heureux, sur les pelouses de l’avenue Beira Mar.
Aujourd’hui encore, après une dizaine d’autres carnavals à défendre les couleurs de Mangueira, je repense aux mots d’Everaldo. Mangueira n’est plus la grande école qu’elle était, mais le silence se fait toujours quand arrive au loin la verde y rosa parce que la foule reconnaît son élégance et son naturel. Sa nonchalance. Il semble difficile d’associer ce mot au défilé de cinq mille danseurs et tambours costumés, et pourtant celui qui a pu comparer Mangueira aux autres écoles le reconnaîtra aussitôt. C’est que la verde y rosa ajoute une épice indispensable, celle de l’équilibre entre la démesure et la tradition, le rythme et la frénésie, la puissance et l’émotion… Je compris plus tard pourquoi Everaldo ne m’avait pas tout de suite accompagné jusque sur l’avenue. Il voulait que je prenne le temps de me charger de l’émotion nécessaire qui me permettrait d’être saisi tout de suite par l’esprit du carnaval. Sa paresseuse et bavarde insouciance m’évita de m’extasier devant le plus grand spectacle de music-hall du monde, ce dont se contentent même les voyageurs “purs et durs” qui disent préférer le carnaval des rues et consentent du bout de lèvres à admettre qu’ils sont quand même allés au sambodrome. Ils ne prennent souvent pas le temps de comprendre ce qu’ils sont venus admirer en ces lieux. »
(p. 56-60)

Éloge du sofa (p. 18-21)
La nonchalance, élégance du routard (p. 50-53)
Extrait court
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