Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
Le pouvoir de l’écrit :

« Le défi de la poésie est celui de se mesurer, par la parole, au mystère du silence, sans jamais le dire ni le cacher entièrement, mais en évoquant plutôt, à chaque fois, l’une de ses composantes, accomplies dans leur parfait inachèvement. De ce fait, l’esthétique du vide nourrit en particulier, comme pour sublimer les ravages du hasard, les fragments poétiques. Que de beautés inavouées dans les vers mutilés de Sappho, d’Archiloque, d’Alcée. Le fragment 105(c) de Sappho, par exemple, “[…] comme la jacinthe piétinée par les bergers sur les montagnes, et au sol la fleur pourpre […]”, laisse ouverte, par le concours des hasards de l’Histoire, toute possibilité de comparaison, suggérant que c’est peut-être dans l’inachèvement de la pensée poétique que l’énergie créatrice manifeste le mieux son efficacité, car elle y demeure disponible et ouverte à toute possibilité d’accomplissement et, par là même, de chute. Le statut fragmentaire n’est pas l’apanage des lyriques grecs : tant d’auteurs modernes y ont recours, comme Fernando Pessoa, dans son Livre de l’intranquillité, Maurice Blanchot, dans L’Écriture du désastre ou bien Pascal Quignard, qui l’emploie dans sa réflexion Sur le jadis. Dans ces recueils de pensées, l’écriture fragmentaire congédie le système pour ériger une exigence d’expression, toute moderne, qui refuse l’unité et l’accomplissement. Le fragment moderne est une écriture en devenir, une esquisse ou un brouillon d’œuvre, qui garde un lien fort avec l’espace vide, le silence qui l’entoure. Le fragment, comme la note musicale, vit de la grandeur du silence.
Dans le domaine littéraire médiéval, le Conte du Graal de Chrétien de Troyes est un roman qui tire ses enjeux essentiels du silence et, une fois de plus, de l’écriture fragmentaire. Le protagoniste, Perceval, est confronté à un cortège mystérieux, le passage du Graal, lorsqu’il commet l’erreur de ne pas questionner le Roi pêcheur, son hôte, sur le sens et la valeur de la scène. Désireux de réparer sa faute, il repart en quête du château mystérieux, mais la narration s’arrête brusquement avant qu’il n’y parvienne. Cela inspire, dès la fin du XIIe siècle, un grand nombre de continuations, incapables cependant de dévoiler l’interprétation que l’auteur donnait à l’épisode. Ainsi, l’histoire interrompue d’une quête initiatique devient, à nos yeux de modernes, le symbole de l’inachèvement de la connaissance et suggère que le questionnement de la vérité est plus important que toute réponse prétendument définitive.
Le pouvoir évocateur du fragment se répercute sur le langage par les figures rhétoriques du silence. L’ellipse, par exemple, qui, par son étymologie, renvoie au manque, consiste à supprimer une période temporelle et les événements qui s’y réfèrent, tandis que l’aposiopèse consiste à laisser une phrase inachevée ; par l’allusion l’auteur se contente d’évoquer un élément que le lecteur devrait pouvoir reconstruire et la suspension est un blanc narratif qui met le public en attente de l’action à venir, source d’une ambiance typique des romans policiers, le “suspense”. Dans tous ces cas, exception faite pour l’ellipse, la ponctuation joue un rôle déterminant, elle qui contribue à nourrir le langage textuel des variations et des modulations du silence. Les points de suspension, par exemple, choisissent la suggestion et suggèrent le meilleur choix possible : se taire. Mais combien de phrases sont modifiées par l’usage de la ponctuation ! Qui reconnaîtrait, par exemple, dans l’énoncé “il faut manger les enfants” une invitation à ne pas sauter le repas, sans une virgule providentielle après le verbe ? Vice versa, l’absence de virgule dans le titre d’un recueil poétique de Paul Éluard, L’Amour la poésie, traduit la nature inséparable des deux termes.
La ponctuation n’est pas seulement un code conventionnel : elle est le souffle du discours et l’instrument à percussion qui lui confère, depuis Aristophane de Byzance (257-180 env.), mais avec des emplois irréguliers dans l’histoire de l’écriture, son rythme particulier. Elle détermine aussi la fonction que la parole attribue au silence comme antagoniste ou alter ego dans une phrase, au sens musical et syntaxique à la fois. Qu’un comédien s’amuse à varier la longueur des pauses entre les mots d’une réplique, et il y trouvera le terrain fertile pour une palette infinie d’exercices de style, le promenant du tragique à l’ironie ; qu’un poète s’amuse à varier ses blancs et ses virgules-à-la-ligne et il composera mille milliards de poèmes. Au théâtre, comme au cinéma, les silences entre les personnages ne témoignent pas seulement d’une certaine esthétique du regard ou de l’attente, mais ils se révèlent aussi des moments lourds de sens. Les politiciens, enfin, connaissent bien la portée des pauses dans la syntaxe : ils prononcent des discours où paradoxalement les silences, plus encore que le contenu verbal, attestent leur autorité. »
(p. 57-61)

La quête du silence (p. 11-13)
Le cri du silence (p. 31-34)
Extrait court
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