Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
Le rapport à la ville :

« Il est curieux de constater que voyager par eau dans un pays industrialisé impose le plus souvent de rester à l’écart des centres urbains. Même lorsque les villes ont été bâties sur les rives d’une rivière, autour d’un gué ou d’un pont, il est habituel que leur centre ait été déplacé plus à l’intérieur des terres et que, naviguant prétendument en ville, on se retrouve à côtoyer un quai de belle taille, une voie rapide – qui est un autre genre de fleuve –, des murs ou un parking, laissant l’impression de glisser dans une goulotte à ciel ouvert ou une douve.
La rivière qui baigne une ville est un désert – ou plutôt un non-lieu – que le canoë peut s’approprier sans difficulté, à moins que, jalouses de sa liberté, les autorités locales ne lui en interdisent l’accès. Les rivières dites navigables, économiquement parlant, échappent naturellement à cette vacuité, encore que la Saône lyonnaise, bien que marchande mais trop étroite, propose un profil vide assez éloigné de celui des cités plus nordiques. Traverser une ville par son fleuve, c’est voir l’arrière-cour du monde, ou du moins la deviner. Et, plus les berges sont hautes, plus elles dissimulent ce que les citadins veulent ignorer. Comme un gros talus de voie ferrée, la berge est un condensé de vie qui recèle ses trésors et ses horreurs : témoignages oubliés d’une ancienne activité fluviale, kyrielle de canetons toujours pressés ou cadavre de rat coincé derrière un bidon d’huile. À la différence du passager de bateau-mouche calé sur sa trajectoire, le pagayeur a le loisir de papillonner d’une berge à l’autre, de prendre du recul pour apprécier une perspective ou de s’approcher de ce qu’il a remarqué.
Découvrir une ville par sa rivière, c’est la voir en contre-plongée, depuis cette position imprenable qu’est le milieu du fleuve. Cela ouvre d’inattendues sensations à l’urbain que je suis. À moins d’envahissantes voies sur berge – pour cela Paris est indétrônable –, la ville semble vidée de ses habitants et de ses voitures. Plus de voitures ! un rêve de voyageur sans moteur. Même Amsterdam donne l’impression de n’abriter que de rares piétons. Les parapets des quais masquent le gros de la circulation dont le vacarme, réfléchi par les façades, s’échappe vers le ciel. Ceux des ponts laissent deviner derrière leurs garde-corps le flot des automobiles, et ne permettent qu’aux bus d’apparaître démasqués. Du coup, seuls les touristes du haut de leurs impériales climatisées vous remarquent. Stupeur, surprise, amusement, envie, le sédentaire en voyage découvre le nomade.
Traverser une ville par l’eau, c’est d’abord fendre sa couronne industrieuse. Qu’il s’agisse de métropoles ou de bourgs, toute agglomération rejette à l’extérieur de son hypercentre ses dépôts, ses entrepôts et ses fabriques. Les anciens moulins, témoignages archéologiques des débuts de l’industrie, se dressent encore mais sont inertes. Dans les petites villes, avant des entrepôts ou des parcs de stationnement d’engins de chantier, on longera le camping, les tennis, la piscine, parfois un lotissement bien sûr de lui puis, en sortant, on doublera la station d’épuration. Entre-temps, on sera passé sous un pont dégoulinant de géraniums ou de chrysanthèmes, ou pavoisé comme un transatlantique. Les cœurs fluviaux des villes importantes, dont l’activité était autrefois si intense, mêlant les transporteurs aux artisans, les passeurs aux meuniers, les animaux aux hommes, sont devenus figés ou déserts. Les villes les plus riches ont beau tenter de reconquérir leur fleuve et ses berges pour les offrir à la promenade de leurs habitants, aménageant des paseos paysagers, rien ne remplacera l’usage que l’on faisait de son eau. Il ne s’agit pas de me complaire dans une nostalgie pour laquelle je n’ai aucune tendresse, mais de regretter que l’espace libre ne soit plus qu’un paysage (un grand bassin chargé de refléter des façades restaurées) et non plus un lieu de vie commune, ordinaire. Même les transports publics l’ont déserté. Les passeurs et les coches d’eau ne réapparaissent à la surface des politiques que lorsque le prix du pétrole atteint des sommets. N’est pas Venise qui veut. Les berges sont éteintes. Ce ne sont pas les chalands habités qui restent à quai, nomades immobiles ne charriant plus que les rêves de leurs occupants, qui inverseront la tendance. Ces péniches transformées – ou lofts surnageants – se font discrètes, mais il ne faut pas bouder son plaisir, il y a des capharnaüms réjouissants de contre-culture dans ces grappes flottantes. Le canoë, en se glissant entre rives et îles, dans les bras oubliés des rivières, permet de dénicher des sociétés effacées qui, bien qu’elles ne se déplacent pratiquement jamais, conservent grâce à leur discrétion, et ce rêve de départ imminent, une attitude de voyageur. »
(p. 72-76)

Souvenir d’enfance (p. 32-34)
Déboucher en mer (p. 44-47)
Extrait court
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