Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
La faculté photographique :

« Il faut d’abord reconnaître une image dans le paysage pour avoir envie de l’immortaliser. C’est que là aussi le regard a été éduqué, voire conditionné, puisque l’on peut dire que certaines choses sont “photographiables” et d’autres pas. On ne voit que rarement dans les magazines les Pyramides avec la vue brumeuse du Caire pollué à l’arrière-plan. C’est certes ce que l’on voit réellement sur place, mais quelque chose nous empêche d’y reconnaître une photographie et l’on préférera la vue du désert avec un chamelier qui s’y promène. Au-delà du “cliché”, de l’effet “carte postale”, quelque chose de plus profond nous pousse à faire ces images, une sorte de devoir : ce sont des images à faire. À mon retour de Chine, mes amis s’étonnèrent de ne pas voir de photos de la Grande Muraille, ni même de la Cité interdite, à Pékin, où j’avais pourtant passé près de trois semaines. C’est que ces images sont comme des “impératifs photographiques”, au même titre que, par exemple, le portrait du nouveau-né dans les bras de sa mère ou celui des jeunes mariés devant la mairie ; ne pas les faire est comme un blasphème, le reniement d’un culte. Quelle image aurions-nous de l’amour d’un jeune couple qui aurait refusé toute photographie à son mariage ?
Le photographe, lui, cherche à avoir conscience de ces phénomènes de conditionnement. Il n’est pas seulement quelqu’un qui possède un appareil, il ne “fait” pas non plus de “la” photo : il “est” photographe. C’est dans cette faculté de retour sur soi que naît le regard photographique. C’est, pour Stephen Shore, “un processus dynamique autoévolutif, ce qu’un ingénieur appellerait une boucle d’asservissement, l’interaction complexe, continue et spontanée de l’observation, de la compréhension, de l’imagination et de l’intention”.
L’appareil photographique est une invention à caractère anthropomorphique en cela qu’il tente de reproduire le processus de la vision humaine. Le diaphragme fonctionne comme la pupille, laissant passer plus ou moins de lumière selon son ouverture ; l’obturateur, comme un clignement d’œil, vient s’ouvrir et se fermer sur demande ; la surface sensible d’un film ou celle d’un capteur numérique permet de mémoriser une image alors qu’elle a disparu, tout comme la persistance rétinienne. C’est à cause de toutes ces similitudes que le photographe peut avoir l’impression de se voir en train de voir et de passer, au moment où la photo est prise, de l’autre côté du miroir.
Notre représentation mentale du monde est le résultat d’un nombre important de reconstructions de ce que nous percevons. Sans en avoir conscience, nous organisons, hiérarchisons et ne mémorisons que ce qui mérite de l’être. Le flux des informations apportées par les nerfs optiques passe par plusieurs filtres avant de nous être restitué sous une forme “digeste”. L’image mentale peut parfois même faire disparaître des éléments que nos yeux ont pourtant vus. C’est précisément ce sur quoi compte l’illusionniste ; en utilisant des gants blancs, il attire sur eux l’attention et empêche de voir le tour de passe-passe qui a pourtant lieu sous nos yeux.
L’idée que l’on se fait des choses conditionne par ailleurs grandement leur représentation mentale. On sait que, lorsqu’on demande aux employés d’une entreprise d’évaluer la taille de leurs collègues, ils surestiment inconsciemment celle de leur patron, car son autorité lui fait gagner quelques centimètres. Un enfant à qui l’on demandera de représenter sa maison dessinera un carré avec deux fenêtres, une porte et un toit triangulaire : ce n’est pas “sa” maison qu’il dessine, mais “la” maison, autrement dit l’idée qu’il s’en fait. Loin de n’être qu’une question d’âge, ces phénomènes de conditionnement persistent avec le temps. Un adulte, par exemple, coloriera systématiquement le tronc d’un arbre en marron, comme un enfant, alors que la majorité d’entre eux sont en vérité plutôt gris. De même, on sait qu’un aveugle de naissance qui recouvrerait la vue ne verrait d’abord que des taches de couleur et de lumière avant de distinguer les formes entre elles. Lire le monde en images comme nous le faisons est une faculté acquise et non innée. Comme pour la parole, elle s’apprend, elle est fonction de l’environnement dans lequel nous évoluons. »
(p. 72-76)

Le sujet qu’est la lumière (p. 19-22)
La juste distance (p. 51-54)
Extrait court
© Transboréal : tous droits réservés, 2006-2024. Mentions légales.
Ce site, constamment enrichi par Émeric Fisset, développé par Pierre-Marie Aubertel,
a bénéficié du concours du Centre national du livre et du ministère de la Culture et de la Communication.