Collection « Sillages »

  • Treks au Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
Sous la yourte de Susamir – Où la vie paraît mi-figue mi-raisin :

« Il est toujours surprenant de voir combien la disposition de l’esprit rend belles les choses qui pouvaient, l’instant d’avant, sembler hostiles. La plaine désertique a pris des reflets dorés ; sur la colline, les silhouettes de cavaliers menant leurs troupeaux se détachent, symbole de liberté sauvage. Les herbes dégagent une délicieuse odeur de Provence et l’un des enfants, inquiet de me savoir seule à cette heure tardive, court demander à ses parents l’autorisation de me ramener chez lui. Tout redevient simple, évident.
Avant Bichkek, capitale dont le nom est celui de la baratte qui permet de faire fermenter le fameux kumiss, boisson à base de lait de jument, je veux encore tenter de rencontrer de vrais nomades : un fantasme de citadine. La route doit traverser un ultime pâturage de haute montagne sur lequel est indiqué un point, “Susamir”. Je croise les doigts pour que des yourtes soient montées et, pour la première fois, je fais du stop. Du stop payant, bien sûr, mais cela m’évite les interminables discussions avec le chauffeur pour n’effectuer qu’une partie du trajet et me permet d’attendre au soleil, en marchant librement, plutôt que de patienter dans une gare routière étouffante. Je suis chanceuse : à peine 200 mètres, et une voiture pile à ma hauteur. Quoique le coffre soit plein et le toit aussi, il reste une place à l’arrière. Je m’assois parmi les autres tandis que le chauffeur extirpe un bout de ficelle providentiel et ligote mon sac par-dessus son arsenal.
La route remonte par une vallée emplie de ruches et de baies sauvages, mais lorsqu’elle débouche sur le plateau, je dois me rendre à l’évidence : en avril, il est encore trop tôt. À peine une ou deux yourtes sont là, et uniquement pour vendre le surplus de lait de jument fermenté. Le chauffeur me conseille de ne pas y goûter. D’abord parce qu’en bord de route le kumiss est rarement de bonne qualité, ensuite parce que je suis une Occidentale et qu’il y a fort à parier que mon estomac ne supporterait pas l’assaut de cet alcool piquant. Il me dépose au bout du plateau, au croisement d’une route. J’aimerais m’enfoncer plus avant, vers la ville de Susamir, mais mon chauffeur continue droit sur Bichkek, et pas la moindre voiture ne prend l’embranchement voulu. Je renonce donc à l’exotisme d’un village semi-nomade pour celui, non moins intéressant, d’une aire d’autoroute familiale.
Il y a une maison en dur, et une yourte. Contre menue monnaie, on peut m’héberger dans cette dernière. On me nourrit à part, dans la maison. C’est la vieille mère, Gulia, qui me cuisine à la va-vite un bech barmak, la spécialité kazakhe : nouilles chinoises à cuisson rapide, bouillon d’os réchauffé et morceaux de bœuf finement émincés par son mari, dans le sens contraire du muscle. Gulia a eu quatre enfants, trois fils et une fille, Merim. Celle-ci a mon âge, 22 ans, et déjà deux enfants. Pour son mariage, elle a été enlevée, de nuit. Le rapt n’a pas eu lieu à cheval mais en voiture, ce qui paraît normal pour une halte routière. Au matin, comme ses parents ne la trouvaient pas, ils ont envoyé l’un de ses frères à sa recherche dans les villages alentour. Rien. Finalement, c’est un oncle éloigné qui est venu les prévenir du lieu de l’enlèvement. Pour remettre les choses en ordre, le mariage a quand même été célébré et le kalim payé, mais six mois plus tard. Ce délai est courant lorsque l’époux n’est pas très riche ; d’autant qu’une femme coûte cher tant qu’elle est vierge. Pour Merim, ses parents ont finalement reçu un kalim honorable : 30 000 soms, un mouton vivant et un déjà égorgé, un cheval, 20 bouteilles de vodka, 10 kilos de chocolat et 10 de biscuits, des habits, des foulards et, bien sûr, les inévitables bor soq. Quant à eux, ils ont offert au jeune ménage des meubles et des tapis pour garnir leur foyer : dix couvertures, un chirdak (tapis de feutre), quatre tüchük (matelas) et un sunduk, la malle de noces qui contient les broderies et napperons que la jeune fille confectionne pendant son adolescence.
Parmi les trois fils de Gulia, Aibeh a choisi de demander sa femme en mariage par amour, “comme un Français”. Les deux autres sont encore célibataires ; ils travaillent à Bichkek. C’est à Aibeh et à son épouse, Elnora, qu’appartient la yourte en bord de route, où il n’y a qu’un seul lit double. Lorsque je m’en rends compte, Aibeh a déjà emporté ses affaires pour passer la nuit chez sa mère, tandis qu’Elnora reste avec moi. Leurs trois enfants sont couchés, au chaud, dans la maison en dur de leur grand-mère. »
(p. 288-290)

Ardabil la prosélyte – Où l’on met les petits plats dans les grands (p. 70-73)
Épilogue – S’en revenir (p. 327-328)
Extrait court
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