Collection « Sillages »

  • Treks au Népal
  • La 2CV vagabonde
  • Ísland
  • Habiter l’Antarctique
  • Cavalières
  • Damien autour du monde
  • À l’ombre de l’Ararat
  • Moi, Naraa, femme de Mongolie
  • Carpates
  • Âme du Gange (L’)
  • Pèlerin de Shikoku (Le)
  • Ivre de steppes
  • Tu seras un homme
  • Arctic Dream
  • Road Angels
  • L’ours est mon maître
  • Sous les yourtes de Mongolie
  • Cavalier des steppes
  • Odyssée amérindienne (L’)
  • Routes de la foi (Les)
  • Aborigènes
  • Diagonale eurasienne
  • Brasil
  • Route du thé (La)
  • Dans les pas de l’Ours
  • Kamtchatka
  • Coureur des bois
  • Aux quatre vents de la Patagonie
  • Siberia
  • Sur la route again
  • À l’écoute de l’Inde
  • Seule sur le Transsibérien
  • Rivages de l’Est
  • Solitudes australes
  • Espíritu Pampa
  • À l’auberge de l’Orient
  • Sans escale
  • Au pays des hommes-fleurs
  • Voyage au bout de la soif
  • Errance amérindienne
  • Sibériennes
  • Unghalak
  • Nomade du Grand Nord
  • Sous l’aile du Grand Corbeau
  • Au cœur de l’Inde
  • Pèlerin d’Orient
  • Pèlerin d’Occident
  • Souffleur de bambou (Le)
  • Au vent des Kerguelen
  • Volta (La)
  • Par les sentiers de la soie
  • Atalaya
  • Voie des glaces (La)
  • Grand Hiver (Le)
  • Maelström
  • Au gré du Yukon
Couverture
Fokino, at the edge of the world :

« De la tente juste à côté, un biker de Vladivostok m’interpelle. Son nom : Alexander “Frantsous” Chapelle. Ses racines sont plus françaises que les miennes. Sa joie à mon encontre est indescriptible. Il me serre dans ses bras comme s’il venait de retrouver un frère disparu, perdu de vue depuis des années. Pour ce motard de 55 ans, le moment est comme un cadeau du ciel. Je suis le premier Français, motard comme lui, qu’il rencontre. L’instant est magique. Il m’offre un verre de vodka, puis un second, un morceau de saucisse, une pomme de terre bouillie. Pour que je sois protégé durant la suite de mon périple, il me tend un bouddha taillé dans une dent d’ours, un éléphant en os qu’il a trouvé au Cambodge et une paire de lunettes jaune. Assis à ses côtés, un autre motard m’offre une bague avec un crâne en argent qu’un biker américain lui avait donné vingt ans plus tôt lors d’un rassemblement à Sturgis, son seul voyage aux États-Unis. Le plaisir d’être tous ensemble attise la fête. La vodka rassemble à nouveau les participants. Cela fait déjà deux jours qu’ils boivent sans discontinuer, comment font-ils pour être encore debout ?
Dehors, près de la scène, un groupe de rock chauffe l’atmosphère, déjà sur sa lancée sauvage. Vodka, siski et rock’n roll, c’est reparti ! Ça va durer quatre jours sans mollir, dans une ambiance sans limite et sans bagarres, accompagnée de strip-teases et de concours de tatouages, comme lors des autres rassemblements.
À 3 heures du matin, mes jambes me portent à peine. Je rejoins ma tente au milieu de dizaines de motards éméchés. Le matelas que j’ai acheté à Krasnoïarsk s’est dégonflé ! Le sol, couvert de cailloux, est moins confortable qu’une planche de fakir. La valve est fichue et je n’ai pas la force de la réparer. Dans l’immédiat, ma vue étant trouble, je ne suis plus bon à rien. Allongé sur le sol dur, je n’arrive pas à m’endormir. Comme anesthésié par une fatigue extrême, mon corps est devenu lourd. Ma tête est brûlante, plus particulièrement au niveau des oreilles. Aurais-je un peu de tension artérielle ? Continuer à lutter pour m’endormir semble un vain combat. Tout proche de ma tente, un trompettiste joue de magnifiques morceaux de Miles Davis. L’émotion qui se dégage de sa trompette est d’une force considérable. Ce son mélancolique me ferait presque pleurer tant la mélodie est sublime. Dans les tentes voisines, les grognements de mécontentement succèdent aux gémissements. Tout le monde veut du silence pour récupérer. Ce moment est tellement beau que j’ai envie qu’il se prolonge. Le soliste va jouer jusqu’au petit matin.
Je suis épuisé mais heureux d’être arrivé jusque-là. J’essaie de mouvoir mes jambes endormies pour sortir de la tente. Elles sont comme paralysées : je n’aime pas cette sensation. J’ai l’impression que mon cerveau ne les commande plus, aussi dois-je m’y prendre à plusieurs reprises pour me lever. Je veux contempler la mer du Japon. Le calme recouvre enfin le meeting. Le regard porté sur l’horizon, je cherche une suite pour mon périple. L’image de couverture de mon album de photos sera prise à cet instant précis. Mon regard suffit à donner une idée de l’intensité du moment.
Les cheveux hirsutes, le visage plissé et la gueule de bois, les motards sortent au compte-gouttes de leur tente. La journée redébute à toute allure. Le petit-déjeuner est servi : saucisses et vodka. Tout le monde se prépare pour défiler à Fokino. Cette petite ville portuaire cache soigneusement une base de sous-marins nucléaires.
Plusieurs centaines de participants se retrouvent au centre-ville pour se recueillir au pied d’un monument aux morts. Le moment est émouvant. Nous déposons une gerbe en mémoire des motards disparus pendant l’année. Les veuves ressemblent à d’étranges mariées : elles portent des coiffes blanches, un short sexy déchiré et des chaussures à talons compensés. La minute de silence est tenue. Une fois l’hommage rendu, la joie d’être ensemble nous replonge dans la fête.
À la fin de la journée, entre chien et loup, prend place une cérémonie un peu particulière. Une vingtaine de lanternes chinoises alimentées par la chaleur d’une bougie s’envolent dans le ciel sous les regards respectueux de tous les motards. Nous nous rassemblons sur la plage au milieu des fumigènes rouges. Pour marquer les esprits, une torche est allumée en mémoire de chaque disparu. Le concert commence. Un rock brutal déchaîne la foule amassée devant la scène. Les strip-teases électrisent une ambiance déjà brûlante. Encore une folle nuit en perspective ! Mais cette fois-ci, j’ai bien l’intention d’aller dormir. Pendant la soirée, j’échappe à la vigilance de mon groupe pour me réfugier dans mon duvet. Ils vont continuer à boire toute la nuit ; pour ma part, il faut que je reprenne des forces. Au pied de ma tente, j’aperçois un matelas gonflable de plage, que je subtilise subrepticement. J’attends impatiemment les heures de sommeil qui vont suivre. Cet état d’épuisement extrême est comme une sorte de conclusion.
Le lendemain en fin d’après-midi, Jésus réapparaît. Malgré des traits tirés, marqués par la fatigue accumulée au cours de ses quinze dernières heures de conduite, il est prêt à en découdre. Il est vrai que l’ambiance sur le camp est énergisante. Ses nouvelles anecdotes avec la police et ses rencontres sur la route sont hilarantes. Il me confie que le message de Svieta que je lui ai transféré pour qu’il ait l’adresse en russe lui est parvenu incomplet. Il manque toutes les lettres écrites en cyrillique. Étonnant pour un téléphone russe !
Jésus et Scutt sont heureux de se revoir. Je me permets d’immortaliser leur bonheur en images : c’est un beau moment. Ils se sont bien trouvés tous les deux. Ils ont les mêmes passions pour la mécanique. Ils jouent de la guitare et ont beaucoup d’autres affinités. Ils vivent cette vie comme si elle allait s’arrêter demain, en profitant de tous les instants et en valorisant tous les moments de partage.
Une fois encore la nuit s’enflamme et la fête va durer jusqu’au petit matin. Comme pour calmer les esprits, la nature s’invite à nos réjouissances. Une pluie diluvienne s’abat sur le camp, inondant la place. La fête va se conclure ainsi. Le niveau de l’eau est monté très vite, matelas et duvets flottent sur 30 centimètres. À l’intérieur des tentes, tout est noyé. Les motos circulent avec leurs tuyaux d’échappement sous la ligne de flottaison, traversant à l’aveugle le champ inondé. Chacun essaie de sauver ses affaires : vêtements, sac à dos, duvet, réchaud de camping, lampe… Devant moi, un motard trempé demande à son ami de lui passer sa couverture. Face à son refus, il se déshabille complètement et continue totalement nu au milieu du camp. C’est sa manière à lui d’exprimer son mécontentement. Il répond à ceux qui l’interrogent qu’il se promène ainsi tout simplement parce que son meilleur ami n’a pas voulu lui prêter de quoi se couvrir. »
(p. 204-207)

Balade extrême en Khakassie (p. 128-132)
Le Japon : mangas, pêche et traditions (p. 240-244)
Extrait court
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