Collection « Petite philosophie du voyage »

  • Défis de la course (Les)
  • Écho des bistrots (L’)
  • Quête du naturaliste (La)
  • Instinct de la glisse (L’)
  • Vertiges de la forêt (Les)
  • Voyage en famille (Le)
  • Tao du vélo (Le)
  • Parfum des îles (Le)
  • Appel de la route (L’)
  • Bonheurs de l’aquarelle (Les)
  • Euphorie des cimes (L’)
  • Malices du fil (Les)
  • Ivresse de la marche (L’)
  • Force du silence (La)
  • Secret des pierres (Le)
  • Frénésie du windsurf (La)
  • Prouesses de l’apnée (Les)
  • Vie en cabane (La)
  • Fureur de survivre (La)
  • Art de la trace (L’)
  • Voyage dans l’espace (Le)
  • Ronde des phares (La)
  • Frisson de la moto (Le)
  • Légèreté du parapente (La)
  • Poésie du rail (La)
  • Hymne aux oiseaux (L’)
  • L’Engagement humanitaire
  • Grâce de l’escalade (La)
  • Temps du voyage (Le)
  • Vertu des steppes (La)
  • Facéties du stop (Les)
  • Cantique de l’ours (Le)
  • Esprit du geste (L’)
  • Écriture de l’ailleurs (L’)
  • Rythme de l’âne (Le)
  • Chant des voiles (Le)
  • Liberté du centaure (La)
  • Tour du monde (Le)
  • Fièvre des volcans (La)
  • Extase du plongeur (L’)
  • Tentation du jardin (La)
  • Vie à la campagne (La)
  • Murmure des dunes (Le)
  • Goût de la politesse (Le)
  • Caresse de l’onde (La)
  • Magie des grimoires (La)
  • Audaces du tango (Les)
  • Simplicité du kayak (La)
  • Voyage immobile (Le)
  • Attrait des gouffres (L’)
  • Soif d’images (La)
  • Mémoire de la Terre (La)
  • Enchantement de la rivière (L’)
  • Prodige de l’amitié (Le)
  • Promesse de l’envol (La)
  • Mystères du vin (Les)
  • Religion du jazz (La)
  • Charme des musées (Le)
  • Triomphe du saltimbanque (Le)
  • Sortilèges de l’opéra (Les)
  • Âme de la chanson (L’)
  • Sérénité de l’éveil (La)
  • Arcanes du métro (Les)
Couverture
La nonchalance, élégance du routard :

« On dit en Chine que le vrai voyageur ne sait pas où il va. Un voyageur, en effet, ce n’est pas quelqu’un qui va quelque part. Cela, c’est un visiteur qui va, qui visite et qui revient. Si le voyageur sait où il va, alors il n’a pas la surprise de la découverte ou de la rencontre. Il n’y a pas pire étape que celle qui ressemble à l’idée qu’on s’en faisait. Pour voyager heureux, il faut voyager surpris, c’est-à-dire ne pas avoir de but pour saisir, à chaque instant, l’occasion d’une halte imprévue. En d’autres termes, la force du voyage, ce n’est pas l’itinéraire, mais les étapes qui en détournent.
Tel est le sens que je donne à ce dicton rwandais selon lequel “la route n’enseigne pas au voyageur ce qui l’attend à l’étape”. J’ai fait mienne cette idée selon laquelle l’étape et l’itinéraire sont deux aventures parallèles mais distinctes. Sans doute notre erreur est-elle de toujours vouloir lier les deux, et de ne faire des étapes que les jalons d’un itinéraire, ou de l’itinéraire qu’un moyen de relier des étapes. Peut-être faut-il vivre au contraire les deux simultanément mais de façon différente. L’itinéraire nous déplace dans le temps et l’espace, et l’étape nous y replace. Le voyage s’y redéfinit alors en un autre balancement permanent de l’un à l’autre. Encore une fois, un rythme plus qu’une allure. “Le temps a beau aller ses étapes, les choses passer, les joies et les tristesses croiser leur route, quand le rythme est là, comment la poésie pourrait-elle périr ?” écrit Ki no Tsurayuki, poète japonais de l’époque Heian. Pourquoi cette vision poétique ne s’appliquerait-elle pas aussi à l’essence même du voyage ? Quand le rythme est là, comment le voyage pourrait-il s’arrêter ?
La nonchalance, c’est donc ce qui donne au voyage le doux rythme du balancement entre la pause et le déplacement. Le mot, à l’origine, est pourtant très éloigné de la notion même de voyage. Chaloir signifiant l’intérêt, le nonchaloir désignait le désintérêt. On pense qu’à l’origine chaloir marquait le souci du feu, qu’il fallait surveiller et entretenir, puis par extension le soin du foyer au sens plus large de maisonnée, jusqu’à signifier enfin la notion générale d’intérêt. Le nonchaloir au contraire contient une idée de détachement, d’insouciance, puis plus tard d’abandon, de déshérence, qui prend au fil du temps le sens d’amour abandonné. Mais le poète en ramène la définition vers “l’abandon amoureux”, avec le sens nouveau de désintérêt non plus envers les êtres et les choses, mais plutôt envers le jugement des autres sur la façon de s’abandonner avec volupté et sans résistance aux choses et aux êtres qui nous tentent. Je ne sais toujours pas si la charogne pouvait être belle, mais je sais que, morte, elle se désintéresse du jugement des autres, que son corps s’abandonne sans censure ni retenue, et qu’elle est désormais sous la seule emprise du temps qui passe. Cette impudeur légère, ce doux abandon, ce temps qui prend son temps, ont fait de la nonchalance l’art élégant d’une certaine désinvolture, c’est-à-dire, selon les dictionnaires, “l’attitude ou le mouvement du corps d’une personne qui a l’air naturel”. Curieux destin que ces synonymes dont le premier, la nonchalance, passe de défaut égoïste à qualité poétique, alors que le second, la désinvolture, fait le trajet inverse. Mais il reste dans la désinvolture d’origine (en italien “plein d’aisance”) et dans la nonchalance la même notion d’élégance naturelle. Une élégance qui permet à Sartre d’écrire dans Les Mots : “Respirant, digérant, déféquant avec nonchalance, je vivais parce que j’avais commencé à vivre.” »
(p. 50-53)

Éloge du sofa (p. 18-21)
Carnaval et samba (p. 56-60)
Extrait court
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